Lettre 001 : De Claudine au pays

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Messas

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Mon cher pays,

Quand je me laisse emporter dans les arpèges élégants de tes chemins prudents, galonnés de huppes et de divinités champêtres, il me suffit de contempler tes panoramas inclassables aux bourgades joyeuses et sans fourbi. Et je me dis tant pis ! Pour les matins brouillard qui déploient la nostalgie et étourdissent le hanneton
J’égrène en prenant le temps d’écouter ton langage charretier, qui ne sera jamais avarié…
Je marche sur ton plancher, j’y ai traîné mes galoches quand j’étais leste, pour un honnête supplément d’âme.
Je me suis souvent abritée sous tes hangars aux pylônes destinés, puis aux bords des lavoirs qui ont amorcé la marche à suivre à tant de femmes.
Parmi tes parcelles aux sillons bien rangés et dépourvues de guichet, je me dis : tout va bien ! Ici, je suis bien. Je vends le pain.
Tu fournis à l’humain la viande végétale forfaitaire …est-ce une mission, ou une offrande ? Une fonction régalienne pour sur !
Et je me demande ! Que sont devenues les semeuses aux visages boucanés qui déposaient les graines, telle une poignée de couleurs en poudre ? Je les regarde sur les photographies, en pleine besogne, fidèles jusqu’à la fenaison, toujours avec élégance, elles manipulent les gerbes sans aucun signe de lassitude. Elles ont déposé tant d’empreintes de leurs phalanges gracieuses dans la terre féconde. Les hommes aux jaquettes raccommodées, manient leurs fourches en imageant le quintal qui en fera l’allégresse,  la sépia en bandoulière.
Quand je m’éloigne du bourg pour aller m’asseoir au bord d’un chemin, là ou les silences sont des écoutes, j’inspire, je laisse le vent de tes racines venir jusqu’à moi, je me retourne vers l’enfance… Et ma cuirasse devient mutine.
Rédiger le discours qui te revient, est une infinie pelote aux millions de perchoirs pour les passereaux au fredonnement enchanteur et de petits refuges pour la musaraigne friponne aux mouvements vifs et frétillants. Un zoo de latitude, une collation.
J’y ai passé, sis, des milliers d’horaires à ne vouloir pas vivre ailleurs.
Toi et moi, nous sommes comme deux gamins du même lieu. Une vraie complicité qui rend un être heureux …
Une sieste, un bruissement d’ailes, une souveraine qui n’en finit pas de rôder derrière mes persiennes … Et, telle une fiancée de nuit, je me réveille comblée.
C’est comme ça. Ici, les brouettes circulent dans les venelles et chaque puits a sa margelle. Au printemps les pelouses se transforment en salon.
En juillet, plus le mûrier sera ronceux, plus la gelée sera madrée. Les lampions s’enflamment, les pétards détonnent dans les caniveaux, les gens sont beaux et l’artifice est bucolique. En automne, le rat des champs fait un banquet.
L’hiver, on peut admirer la nudité d’une plaine aux méandres mécènes où réside une masure à la toiture explosée par la pression trop forte d’un arbre aux guignes, qui pousse chez elle, tel un accent circonflexe.
Deçà, au pays Loire-Beauce, il n’y a pas de valeur confuse, la pluie dépose son aura jusque dans nos cernes, elle est le vivier de nos oracles, elle est belle et bon présage.
Ici, les passants, au salut pacifique, sont persévérants, sensés et sans orgueil. Leurs âmes se convoitent à la cadence pétillante des cloches qui dénoncent sans cesse le temps qui passe. Je tenais à écrire tout ça, mon cher Pays, car de toi, mon cœur n’en sera jamais démaquillé !!!

Claudine