Lettre 236 : De Mellie One à la maison de son enfance

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Villorceau

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A Toi la Maison de mon enfance…

Toi la Maison de mon enfance
Toi qui renferme, tel un rempart,
Tant de secrets, tant de souvenirs…
S’il était en mon pouvoir,
J’aimerais t’acquérir, te reconquérir,
Comme si ma présence en tes murs
Pouvait faire revivre, tel un murmure
La voix de nos chers disparus.
Comme si les souvenirs que je croyais à jamais enfouis
Pouvaient de nouveau ressurgir,
Majestueux et puissants
Impérieux, désarmants…
Et que je puisse conter à mes descendants
Le bonheur inconscient de mes années d’enfant…

… J’ai six ans…
Il fait beau.
Comme la maison n’est pas équipée de salle d’eau,
Dans la cour, on a installé un baquet
Dans lequel on a versé
Un peu d’eau chaude pour se baigner.
Pour se laver les cheveux,
On fait chauffer de l’eau
Sur le grand fourneau.
A l’aide d’une casserole,
Maman va pouvoir rincer
La mousse de mes cheveux emmêlés.

… J’ai huit ans…
Un accident ? Des choses « qu’on ne dit pas »
Ont fait d’un nouveau né
Ce grand farfadet handicapé…
J’ai décidé de lui apprendre l’alphabet,
Et du mot Pierrot, faire avec lui le tracé.
De sa fenêtre, grand-mère nous regarde émerveillée :
Son grand garçon va enfin s’éveiller…
Et dans le sourire qu’elle m’adresse, j’ai compris
Qu’elle bénit tout ce que pour lui j’ai entrepris.

…Je me retrouve à neuf ans…
Il fait froid dehors,
La maison n’est pas chauffée.
Seul un poêle à fioul, bien peu alimenté,
Réchauffe la salle à manger.
Dans la chambre de mes parents,
Les vitres sont givrées, l’atmosphère est glacée.
Tout juste rentrée de l’hôpital, maman est allongée sur son lit,
Et malgré sa faiblesse, me sermonne sur mon peu d’appétit
Devant ma sœur qui garde la fratrie
Et qui lui a bien évidemment tout dit.

… J’ai dix ans…
Je fais les courses avec maman.
La laitière dans une main, le panier dans l’autre,
Nous parcourons la rue et entrons dans l’épicerie.
C’est avec beaucoup de solennité
Que madame Petit remplit
Le pot à lait que je lui ai remis.
Comme je suis sage, elle me sourit,
Et me récompense d’une confiserie.

…J’ai douze ans…
Dans le grenier de mes parents,
Tout est préparé pour accueillir mes amies :
Marina, Corinne, Sylviane, Régine, Lydie…
Et nous voilà toutes rassemblées
Dans la grande pièce du grenier
Devant un bon déjeuner
Que Maman nous a préparé.
Le rire fuse, se communique,
Nous sommes heureuses de nous retrouver.

… J’ai quinze ans…
Cette maison, une ancienne prison
Recèle un trésor caché…
Avec mon frère, je descends
Les marches en pierre, humides et mal éclairées.
Dans l’obscurité, nous essayons de trouver
Le passage souterrain qui, on nous l’a appris,
Forme un réseau secret,
Rejoint la Loire pour se cacher,
À l’abri des regards indiscrets,
Dans cette ancienne ville fortifiée,
Aujourd’hui si joliment ouvragée.
Nous avons beau chercher,
Nous n’avons rien décelé…
Le mystère de la cave reste entier,
Et malgré nos ardeurs, il n’est toujours pas résolu.
Mon frère et moi remontons très déçus.

…J’ai dix neuf ans…
Le premier de mes enfants dans mes bras
Tout petit, si mignon. Il a besoin de moi,
Un lien puissant se tisse entre lui et moi.
Dans la grande chambre qui donne sur la rue,
Sont entassés nos meubles de jeunes mariés.
Tu nous abrites provisoirement,
Jusqu’à ce que soit construit notre logement.

…Je viens d’avoir vingt ans…
Il est midi passé.
Appuyée sur la table de la salle à manger,
J’attends, inquiète : il n’est pas encore rentré !
Je scrute la route d’où apparaît
La voiture bleue de la maréchaussée
A ma porte, je sais qu’ils vont sonner, j’ai compris.
Une mauvaise nouvelle va m’être annoncée.
Est-ce que c’est grave, je leur dis ?
C’est mon frère qui va me l’annoncer.
Et nous courons main dans la main
Pour le revoir une dernière fois.
Devant la grille, tous se sont réunis,
Pour protester devant ce second décès.
C’est fini, je ne le reverrai plus, plus jamais…

…La vie a passé, avec ses joies, ses peines, ses regrets…
En pensant à toi, je me retourne sur le passé.
Et ce sont les mêmes questions qui sont posées :
Est-ce l’enfer, ici-bas
Pour mériter tant de tracas ?
Qu’avons-nous fait, dites-moi,
Pour que le sort s’acharne ainsi sur toi !
Une famille disloquée,
Des êtres chers séparés…
Grands-mères Jeannine et Pascaline,
Jean-Marc, Luc, Anne-Laure, Dany, Marie-Claire,
Maman, papa, Roberte, Pierrot, Pauline, Marianne, Ingrid, …
Et maintenant toi, Sergio…
Est-ce un Adieu à tout jamais ?
Une grande solitude désormais…
Un espoir :
Vous revoir…

Toi la maison de mon enfance,
Bien des années se sont écoulées…
De la cave au grenier,
En passant par le premier ou le rez-de-chaussée,
Ou du fond du grand atelier,
Tu écoutes les heures de la Tour s’égrener,
Tu te dresses, toujours présente.
Tes volets gris fraîchement repeints,
Se sont à jamais refermés
Sur tous les Trésors de mes jeunes années,
Comme un adieu à tous ceux que j’ai aimés.
… J’ai cinquante ans passés…

Mellie One