Lettre 014 : Du lapin à la moissonneuse de la Cuma

Moissonneuse,

Voilà, moi et mes nombreux cousins, frères, sœurs, parents et affiliés, quelques milliers des miens, on en a marre ! RAS LE BOL ! Nous sommes une espèce timide et on évite plutôt de se faire remarquer, surtout en cette période de chasse. A part bien sûr nos cousins néo-urbains qui ont sniffé trop de gaz d’échappement et qui batifolent sur les ronds-points enherbés en entrée de ville (hélas, chaque famille a ses rebelles, ses tatoués, ses percés…). Mais là, la coupe est pleine et je prends donc le crayon au nom de toute la famille Oryctolagus demeurant sur la commune de Patay. Tous les ans, c’est la même chose : nous sommes là, tranquilles dans nos champs de céréales, à faire notre vie de lapin de garenne, à profiter de la torpeur de l’été et les moissonneuses débarquent telles les mécaniques de l’apocalypse ! Et vas-y que je passe dans un sens et puis dans l’autre, dans un bruit de moteur épouvantable, laissant à blanc les champs, nous privant de tout abri pour nous cacher des regards des Humains, détruisant notre havre de paix. C’était déjà affreux mais là, là, c’est devenu terrible ! Depuis que les agriculteurs t’ont achetée, il y a deux ans, nous risquons notre vie à chaque moisson ! Tu avances plus vite que l’ancien modèle, tu nous obliges à détaler à toute vitesse, à courir de toutes nos forces devant la barre de coupe. Les plus anciens d’entre nous peinent, au bord de la crise cardiaque… D’ailleurs, puisque je t’en parle, il se murmure dans les terriers que le vieux Grégoire n’est pas parti courir la garenne du côté de Coinces comme nous le pensions mais bien que, victime d’un infarctus causé par l’effort, il aurait fini haché menu dans tes entrailles. Assassin, tu as fait du pâté de lapin de mon grand-oncle !!!
Alors, nous, membres de la famille Oryctolagus, nous te posons un ultimatum ! Nous sommes petits mais nous sommes trèèèèès nombreux… et nous savons où tu es remisée… Le hangar de la Cuma est bien isolé dans la campagne au cœur de notre territoire, ne l’oublie pas ! Alors, soit tu ralentis, tu te mets au rythme tortue lorsque tu moissonnes pour nous permettre de reprendre souffle et tu oublies le mode « Lièvre», soit les cousins et moi, nous venons faire la fête à tes flexibles et fils électriques si tu ne suis pas nos indications. Nous sommes des rongeurs : tu ne résisteras pas longtemps… On verra si les agriculteurs de la Cuma apprécieront autant ton assise une fois le capitonnage des sièges ravagé et tu perdras de ta superbe, une fois l’informatique embarquée HS et des flaques d’huile entre tes roues marquant ton incontinence !
A bon entendeur, salut !… On se revoit à la moisson !

Jeannot Oryctolagus, lapin à Patay