Lettre 090 : Des 50 vaches à vous

Nous sommes 50.
Cinquante mamans, plus nos jeunes et nos petits, plus nos deux maris. Cela fait cent trente deux. Environ.
Semblables, nos robes sont rousses, nos yeux sont doux et nos âmes sereines… toujours dehors et depuis quelques jours fort mouillées et ça on n’aime pas trop, surtout quand il vente. Alors on se groupe, derrière au vent et tête baissée : on attend que ça passe et ça passe.
De toutes façons nous sommes rustiques, l’échine dure, bien sûr, c’est vrai.
Nous, nous faisons les 3-8. Pendant 8 heures on mange, pendant 8 heures on rumine, pendant 8 heures on dort. Belle vie tout de même. Ah les nuits d’été dans la belle campagne solognote.
Vous ne savez pas vous ? Dans vos niches, dans vos maisons ? Les oiseaux nocturnes, les bêtes de la forêt nous visitent souvent. Nous racontent leurs misères diurnes, les chiens, les fusils, les hommes… les hommes évidemment.
Les naissances ? C’est vrai qu’on est souvent grosses. C’est vrai aussi que les hivers c’est moins drôle : les petits sortent de nous tout fumant. On lèche, on relèche. Et puis hop ! à la mamelle et les voilà tout drus. Après ce sont dix mois de vrai plaisir. Pas d’heure pour les tétées, des envies simplement. Ensuite vient la séparation : le grand manque qui s’exprime, mais c’est vite oublié et les gambades et les folies aussi reprennent. Nos maris sont là, et c’est la grande affaire.
Entre bois et prés, tout au fond de cette campagne, des rumeurs nous arrivent. Si, Si !
– Ils disent qu’en Picardie ils ont construit des hôtels étables pour 1000 clientes ; nos cousines, nos sœurs. Ils sont fous, non ?
– Ils disent aussi qu’ils les y amènent de nuit, sous escorte policière. Ont-ils peur ?
– Ils disent qu’il n’y a personne ou presque pour les soins, le service et que les machines font tout. Et trois traites par jour, ça vous paraît normal ça monsieur ?
– Ils disent que nos cousines, donc, ne verront pas un brin d’herbe pendant leur vie d’enfermées.
– Ils disent que le décideur (387ème fortune de France) affirme que tout ça est nécessaire : on pense pour sa poche oui ! et qu’il va faire installer un méthaniseur agricole. C’est pas mieux de crotter dans l’herbe ?
– D’autres disent que 1000 ça feraient 20 fermes de 50 qui apporteraient la vie dans des villages de campagne.

Ils ont raison.

Les 50 vaches