Cher Toi,
Au fil de ma lettre, tu devineras sans doute qui je suis ; ne triche pas, ne regarde pas tout de suite la signature.
Je suis né de l’association de la peau d’un animal et d’une substance végétale élastique, sans oublier le cordon qui me permet de rester en place.
Maintenant que je suis vieux, je peux dire que dans ma vie, j’ai parcouru des kilomètres et des kilomètres, par tous les temps, à travers les sillons et les chemins. Je connais la terre de Beauce mieux que quiconque. Elle a une texture particulière, une odeur et une couleur qui varient d’un terroir à l’autre, de Meung à Patay ou de Beaugency à Artenay. Cette terre riche, qualifiée de « Grenier à blé» de la France, supporte des plantes variées, aux couleurs chatoyantes. J’aime le vert du blé et le jaune du colza au printemps, l’or des moissons et le brun de l’automne. J’adore le bruit que je produis en écrasant les chaumes ou les feuilles mortes.
Lorsqu’il pleut, je rentre crotté jusqu’à la tige d’une boue qui salit la maison et je suis content de me reposer sur un papier journal en attendant la grande toilette. Par beau temps, j’écrase les mottes avec allégresse et je rêve de m’enfoncer un jour dans le sol sableux en bord de Loire.
Parfois, un caillou ou une branche me barre le passage et je me demande alors ce qui va m’arriver. Et si, par malheur, un chien est passé par là, j’ai intérêt à faire attention car, gare à l’odeur ! Déjà que j’ai une réputation peu flatteuse pour mes émanations intérieures…
Je dois te dire que je me déplace toujours avec mon faux-jumeau. A nous deux, on fait une belle paire !
Alors, tu as trouvé ?
Le brodequin.