Cher vieux moulin de Villechaumont,

Décidément, quand la nostalgie vous attrape, elle ne vous lâche plus. D’énormes bouffées de souvenirs envahissent, submergent la mémoire : souvenirs de paysages champêtres jalonnant le cycle des saisons et surtout des travaux des paysans au sens noble du terme.
Rappelle-toi les champs de blé, d’orge, d’avoine après le passage des moissonneuses-lieuses, les gerbes dressées en « térioux – trioux ou triaux », les épis vers le centre, sauf ceux de l’avoine érigés en cônes. Des gravures de Louis-Joseph Soulas : simplicité du trait, expression intense nimbée d’une touche dépressive, une anxiété latente, un des aspects sombres de l’âme beauceronne.
Alors, mon cher Moulin, en attendant les battages, les meules s’érigeaient, en cercles concentriques parfaits, disposés jusqu’au cône du sommet. Gare au paysan qui avait raté sa meule – un peu de guingois – il recevait illico le titre peu envié de « massacraud », de même que le laboureur qui « dériageait » !
Les gars de machine, venus et repartis, les greniers pleins, les paillers se dressaient comme des maisons avec leur toit. Qu’il faisait bon s’y réfugier, un bouquin à la main, un coin de ciel au-dessus, dans la bonne odeur de la paille fraîchement sèche !
On en aurait pour tout l’hiver de cette paille aux mille usages. Rien n’était perdu : litières des étables et des écuries, fumier pour les labours, paillasses remplies de la « balle », rempaillage des chaises, confection de corbeillons, corbeilles et mannequins, claies en éventail, pour faire sécher les fromages et j’en passe… comme tout passe !
Vers 1950, les moulins à vent se turent, comme toi, qui t’écroulas d’un seul coup, marquant la fin d’une époque, comme celui de Maître Cornille qui « donnait à manger à son moulin ».
Avant de rejoindre les hideux silos, les grains prirent la direction de la Loire, vers ces « chemins d’eau » où tournaient les moulins de Tavers, les moulins de la Vallée du Rû, de Vernon à Garambault, des marais jusqu’à Vernoise, à Beaugency,  des Mauves du Moulin de Clan et de nombreux autres… Une époque révolue.
« Les moulins de mon cœur ne chantent plus le soir !
J’écrase une larme silencieuse… »

Adieu, Villechaumont !

Ton vieil ami de Loire Beauce
Julien Delayes