Lettre 052 : Du silence à vous

Chuuuuut,

Comment dire, sans bruit, ce que jour après jour j’éprouve, je vis en votre compagnie ?
Qui donc fait attention à moi, m’écoute ?
Il en est un, qui me ravit quand le matin, sortant de la maison, il se plante là, sur le perron de la maison, à écouter, à chercher dans le ciel, dans la cour de la ferme.
Je suis une toile blanche, vierge de couleurs et de dessins et comme deux amoureux séparés, nous avons rendez-vous, seuls, loin des regards indiscrets. Il s’enveloppe de ma présence… de ce rien comme on met son bleu de travail.
Et puis la journée prend ses tours, accélère sa cadence et voilà que tout est « cul par-dessus tête ».
Ça gesticule et ça trépigne pour trois fois rien. Et v’là qu’i’s’met à gueuler après un boulon foireux ou je ne sais quel fatras.
Moi je suis là, à me faire griffer, rayer, mettre de côté. Il est comme si toute sa vie en dépendait, accroché à ses boulons.
Après quoi court-il donc ?
Je n’en sais rien, je ne suis que le silence.
Après avoir fendu l’air avec les mugissements diesel de son impertinent tracteur, le voilà seul au milieu des champs, rempli de ce vide de son, à jalonner son champ à grands coups d’enjambées comme on compte les mailles d’un tricot.
Il regarde la vie qui passe, respire le temps qui se fige, avec là, quelque part, dans ce coin de ciel, le chant d’une alouette, jouant à l’équilibre.
A genoux, dans les rangs des premières carottes, le voilà silencieux comme un Bouddha. Dans un mantra de gestes précis, les bottes se font une par une.
Il m’écoute. Je vois bien que je le remplis de je ne sais quoi, moi qui ne suis rien !
Les Hommes !! Qu’ils me fassent de la place, qu’ils me respectent un peu, tout de même !!
Je féconde leurs rêves.
Même un paysan a des rêves, des rêves d’infini.
Comme celui-là de qui « je cause », comme celui-là qui m’oublie trop souvent.
C’est bien étrange un homme. Amant un jour, courant vers d’autres trompettes le lendemain. Déprimant.
Mais moi, le silence, ai-je le droit de déprimer, d’être gris ?
Un silence gris, ça n’a pas de sens ??
On me déforeste à tout va, on me chasse de mes réserves primaires.
Ma canopée ne vous fait plus rêver ? Dites-moi donc ce que vous pensez en silence.

Le silence