Lettre 055 : Du pressoir à vin à vous

Depuis si longtemps je m’ennuyais dans le cellier d’Henry en Sologne, voici qu’un nouveau destin m’attend… Oh bien sûr, ma dernière récolte de Romorantin, de Rayon d’or, d’Oberlin est loin, très loin puisqu’elle date de 1958. Depuis toutes ces longues années, je me trouvais dans ce fameux cellier aux portes de Chambord mais inutile, désespérément inutile… Et voici qu’en ce beau mois de mai, la fille d’Henry a eu une idée géniale.
Je ne me morfondrai plus, rêvant d’une prochaine vendange, rêvant de presser les précieux grains de raisins blancs ou noirs, rêvant d’entendre les rires et les exclamations des vendangeurs. Elle va me faire traverser la Loire, je ne serai plus un pressoir solognot mais un pressoir beauceron…
Quelle rigolade mais je n’oublie pas qu’aussi en Beauce, il y eut du vin.

Alors, je vais revivre, je vais de nouveau entendre des rires, des voix d’enfants, d’adultes mais pas celles des vendangeurs, car malheureusement le phylloxéra est passé par la Beauce et a détruit de nombreux ceps de vigne. On a d’ailleurs importé des cépages américains pour essayer d’endiguer ce déclin. Rien n’y a fait, les céréales ont remplacé les fameux rangs de vigne. Cravant a vu sa dernière récolte en 1990 dans la vigne à Evrard au hameau de Cernay.
Je vais devenir décoratif, car elle veut me protéger des intempéries, me bichonner. Rien ne me manque, en passant par ma vis, mes petits et grands cochons, mes traverses pour serrer le marc. A mes côtés, mes ustensiles vieilliront comme ma bacholle, mon levier, mon croc, mes jales, mon poulin, mes cannelles… Elle souhaite m’agrémenter de jolis pots, de jolies fleurs mais à l’intérieur de l’ancienne bergerie.
Ainsi je ne finirai point au bûcher comme bien d’autres. Alors en garant la voiture en ce lieu, elle me verra chaque jour, j’entendrai de nouveau des voix. Je vais être regardé, admiré, en un mot simple : « aimé ».
Car je ferai désormais partie d’un foyer, mais surtout, je ferai partie de sa famille car je suis son  histoire, cette histoire, cette mémoire solognote présente dans ses gênes et dans sa nouvelle vie en BEAUCE.
Alors, je ne suis plus triste, car en traversant le fleuve royal vers de nouvelles aventures pleines de joie, je vivrai.

Le pressoir à vin d’Henry