Lettre 072 : De la gravure à vous

Comme mon graveur, je suis née à Coinces, commune de la Beauce orléanaise. Je représente la Beauce telle qu’elle était dans les années trente du XXème siècle et encore dans les années cinquante, juste avant la mécanisation, l’arrivée du tracteur, de la moissonneuse-batteuse. Je représente très fidèlement la Beauce telle qu’elle était avant le remembrement, avec des petites parcelles rectangulaires allongées. Je la représente surtout après la fenaison – avec « les mulons » qui la parsèment -, ou à la veille des moissons ou encore pendant et après la moisson : des champs de blé, des moissonneurs, les dernières faucheuses-javelleuses, l’entassement des gerbes sur le champ en « térious », puis l’enlèvement des gerbes avec des voitures gerbières tirées par deux, voire trois chevaux ; la campagne est organisée par des chemins de terre striés d’ornières profondes ; au loin, la silhouette du moulin de Lignerolles (qui existe toujours), les clochers des villages…
Je n’ai pas besoin de dire pourquoi cette campagne n’existe plus dans l’état où, gravure de 1950, je l’ai représentée. Mais, quand je vois la campagne beauceronne d’aujourd’hui, je n’ai pas de nostalgie : il faut bien accepter de changer d’époque puisque c’était économiquement inévitable. Je suis davantage choquée par la réaction de certains citadins ou de résidents secondaires qui ont acheté des maisons qu’ils ont « retapées » et dont ils ont radicalement changé « le caractère paysan beauceron ». Surtout que cela s’accompagne souvent des critiques adressées en totale méconnaissance de cause, aux agriculteurs, à leurs méthodes de culture actuelles. De la même façon, je suis également choquée par ceux de ces nouveaux ruraux – et de quelques anciens ruraux… – heureusement peu nombreux, qui vivent « dans la modernité la plus moderne » mais s’opposent à la construction d’éoliennes au nom de leurs réactions individuelles passéistes…
Pour moi qui ai représenté tant de fois le moulin à vent de Lignerolles, il m’est difficile d’accepter cette contradiction !

La gravure

Sans titre