Lettre 077 : D’une jachère moderne aux adultes

« On n’arrête pas un peuple qui danse. »

Salut à vous,

J’me présente. Je m’appelle jachère et j’ai une vingtaine de printemps. Je suis née en 1992 grâce à la réforme de la PAC. Je fais donc partie de la génération de vos enfants ou petits-enfants. Mais si, vous savez, celle que l’on nomme la génération Y.
Bah oui, parce qu’avant moi y’avait ma mère, la jachère ancienne. Elle avait un rôle plutôt agronomique. C’est-à-dire qu’en gros, elle faisait partie du rythme des cultures. Une année sur quatre les agriculteurs s’en servaient pour régénérer les sols.
Alors que moi, je sers aux écolos. Ils aiment bien venir me voir et observer les bestioles que j’abrite. Ils appellent ça la biodiversité.
Attention hein ! Faut pas me confondre avec ma cousine, la jachère fleurie. Une vraie hippie celle-là. Je l’aime bien, elle nourrit les abeilles et puis elle est jolie dans le paysage. Mais bon, j’trouve qu’elle se pavane un peu trop avec ses fleurs de toutes les couleurs. Tout ça pour se faire remarquer par les passants… Crâneuse.

Enfin bref, après ce p’tit épilogue généalogique on va pouvoir entamer une discussion sérieuse… En fait y’a pas longtemps j’ai rencontré une bande de jeunes de mon âge et on a pas mal discuté. J’ai découvert que chez vous les humains y’a certains sujets épineux et quelques conflits de générations. Enfin je vous jette pas la pierre, chez moi aussi. Ma mère s’obstine à me dire qu’il faudrait faire comme ci ou comme ça. Mais bon si ça se trouve, vu qu’on me donne l’occasion de vous parler je vais peut-être réussir à rétablir un échange, une discussion entre vous… Pour ma mère on verra plus tard, quand elle se décidera à m’écouter.

Donc voilà, y’a deux mois environ j’étais tranquillement en train de profiter du soleil et du bruit des abeilles quand ont débarqué de drôles d’oiseaux. Sapés différemment de mon agriculteur ou des écolos que j’vois d’habitude. Mais bon après tout ça change, c’est rigolo. Ils ont garé leurs voitures, leurs camions et ils ont commencé à installer des gros trucs noirs, ça s’appelle des caissons de basse si j’ai bien compris. Et d’un coup je suis passé du silence et du bruit des abeilles aux chants de ces oiseaux : la techno. Ils ont commencé à danser et ne se sont arrêtés qu’au petit matin. On a fait la fête toute la nuit et c’est comme ça que j’ai appris à les connaître. Je les observais taper du pied me laissant moi aussi porter par les vibrations de cette musique. Ils sont super cool ! Si, si je vous assure ! Ils sont solidaires, respectueux et plutôt joyeux. Moi ça m’change ! Mon agri il est pas toujours fun… D’ailleurs quand il a vu mon état après le passage des teufeurs il était en colère… Forcément après une nuit de fête je vous le cache pas j’avais une petite gueule de bois. Mais bon c’est pas comme si c’était tous les jours, faut relativiser. Chez vous, ça s’arrange à coup de doliprane et de badoit, chez moi il faut un peu de temps, de la pluie et du soleil, chacun son remède !

Toujours est-il qu’au petit matin on a vu les flics débarquer. Ni une ni deux ils ont pris les gros trucs noirs et la musique s’est arrêtée. Trop nuls quoi ! En plus ils ont chassé mes nouveaux potes sous prétexte que leur teuf était pas légale. En même temps c’est un peu le but des free party. D’après ce que j’ai compris c’est comme des mini technivals et c’est pas super bien vu dans votre société. Moi j’comprends pas pourquoi ! Faut laisser la jeunesse s’exprimer un peu. Et c’est pas parce que vous avez pas les mêmes codes qu’il faut les traiter de sauvages, de cinglés, de feignants et j’en passe. Puis en plus vous êtes tout l’temps en train de leur dire qu’il faut qu’ils décollent les yeux de leurs écrans et quand ils sortent au grand air vous les réprimez. Y’a pas une petite contradiction ?

Enfin tout ça pour dire que moi, ça m’dérange pas, bien au contraire ! C’était carrément cool ! Revenez quand vous voulez les copains. Continuez à danser, chanter, rêver. L’utopie et la fougue de la jeunesse feront un jour bouger les choses. Continuez à revendiquer un monde plus libre. Continuez à y croire. Peut-être trouverons-nous un monde plus beau à force d’espoir. Puis, soyez sympa avec vos vieux même s’ils ne vous comprennent pas toujours.
Quant à vous chers aïeux, tentez d’observer de plus près l’état des choses avant de porter un jugement hâtif. Virez moi ces œillères et venez faire un tour dans notre espoir, voyez comme notre monde est joli lorsqu’on sait le regarder.

Peace and love !
Jachère – 23 ans – Militante pour la réconciliation des jeunes fous et des vieux sages.