Lettre 091 : Du passage à niveau 62 aux adeptes du trafic ferroviaire

Bon, c’est sûr, je peux pas cacher mon âge, je suis un peu… vermoulu, mais attention, pas encore croulant ! Pourtant me v’là condamné ! Je vis mes dernières années, à entendre les technocrates. Vous la voyez, la voie ferrée entre Coinces et Patay ?… Mais si !… Une seule voie au milieu des champs… Ça suffit bien pour les deux trois convois… Est-ce qu’on peut appeler ça des trains de marchandises ?… Vingt-deux wagons qui passent plan-plan, tranquilles, peinards, tout gentils. On dirait le petit train de l’interlude de Maurice Brunot, vous vous rappelez ? Hum ! Le bruit de la vieille mécanique !… Ça se déhanche, ça bringuebale, ça respire la bonne céréale ! Et au passage, pas de barrière. Pourquoi des barrières sur un chemin de terre ? Un coup d’œil à droite, ça suffit… Et pis, vous savez, j’en vois passer du beau monde : les agris qui ont leurs champs des deux côtés, les promeneurs du dimanche, les amoureux de la pleine nature… Mon copain, le PN63, lui, il descend carrément des Romains, il est même estampillé Compostelle ! Et la p’tite Jeanne dont on fait par ici des gorges chaudes, elle a bien dû passer par là…
Et voilà-t-i pas que ces crânes d’ânes d’œuf, là-haut, dans les ministères, ils viennent de nous pondre un projet faramineux : du tout moderne et de l’ultra-rapide de Chartres à Orléans. Et ça voudrait embarquer des passagers !… à ce qu’ils disent… Parce qu’on les voit passer, les bus, d’Orléans à Chartres : pas un chat ! Non, non, c’est des embrouilles. Moi je sais bien le fin mot de l’affaire : ce qu’ils veulent c’est une déviation pour éviter Paris, leur truc c’est de désengorger la capitale, c’est tout. Nos champs, ils s’en foutent !
On dit toujours qu’ici on est le grenier à blé de la France, et qu’est-ce qu’on installe dans les greniers ? Eh ben… les petits trains en meccano ! C’est pour ça. Et nous, là-dedans ?
À la réforme !

Le passage à niveau 62