Lettre 010 : De Bees aux Beaucerons

Chers Beaucerons,

Je m’appelle Bees, Joan Bees, une abeille butineuse qui survole les champs de colza, depuis le début de ce mois d’avril. Douze degrés, pas de vent et le soleil est déjà haut après votre changement d’heure !!
Nous, les abeilles, sommes des insectes sociaux, soumis aux lois de la nature, des territoires, des saisons, mais de là à faire de notre planète un village et changer l’éphéméride, vous sortez un peu du cadre !
Une grosse journée de boulot en perspective, pas de vent ni de pluie, je vais faire pas mal d’allers et retours dans la plaine, morcelée de jaune en instance et de parfums déjà sucrés. J’espère que je ne vais pas trop ramener de saloperies.
Ginette, c’est ma copine Ginette, m’a donné le cap pour trouver nectar et pollen, elle en connaît un rayon. Elle est plus vieille que moi de cinq jours, ça compte dans la vie d’une abeille !
Elle m’a dit que deux tiers de la production de miel de France provient du colza et du tournesol, alors il ne faut pas se louper les belles journées comme celle-là, sinon on ne passera pas l’hiver !
Elle m’a dit aussi que deux tiers de la production d’huile de colza remplacent le pétrole dans vos véhicules, c’est une bonne idée ça, sinon je ne sais pas ce que l’on se mettait dans le jabot et se peloterait sur les pattes. « On n’est pas des butineuses, mais des pétroleuses » dit Ginette, elle est bête Ginette !
Le butinage du colza, c’est notre moisson, même si on cherche à varier le menu, mais entre les lisières de bois au carré, la réduction des jardins potagers, des parterres ou des haies fleuries, des arbres fruitiers dans les petits villages, souvent remplacés par les haies de thuya et des pelouses de ray-grass… « C’est du béton végétal » qu’a dit Ginette, elle est bête Ginette !
Elle m’a dit que son aïeule avait été gazée par un insecticide en pleine journée, mais je sais que vous, vous faites gaffe, vous faites ça la nuit, quand nous sommes toutes rentrées à la ruche.
« Ils pulvérisent la nuit pour pas se faire choper par les voisins écolos » dit Ginette, elle est bête Ginette !
Je vous ai vus avec vos grosses lumières, ainsi le lendemain nous avons repris le butinage sans problème, mais sans les méligèthes, les charançons des siliques ou autres pucerons cendrés, ça fait de la place pour nous et les autres pollinisateurs sauvages !
Par contre, je me suis chopé un varroa, saloperie ! Pour me refiler des maladies ou des virus, y a pas mieux. C’est comme une tique, gros comme une assiette sur vous, vous voyez un peu le bestiau ! Ça me file le bourdon !! Dès mon retour à la ruche, je vais me frotter sur un pain d’acide formique pour l’estourbir. L’hiver notre apiculteur nous met des bandes insecticides, mais pas pendant la miellée !
Le soleil commence à disparaître sous l’horizon de la plaine de Beauce. Pour mon dernier voyage de la journée, je l’ai fait avec Lucette, une jeunette. Retour en formation serrée !!              …/…
Mais devant la ruche, les frelons asiatiques ont fait un carnage débridé, des restes d’abeilles jonchent le sol et là, je reconnais la tête de Ginette. Elle est morte Ginette, c’est bête !!
C’est comme ça la nature, ma pauvre Lucette !!
Allez, bises !!

Bees