Lettre 104 : De la métairie à vous

Je suis une métairie du temps lointain, bâtie là, au bout du hameau, une métairie vivante où dans la cour s’ébattait une nuée de poules, coqs, oies.
Mes bâtiments étaient disposés au pourtour de cette cour carrée avec l’habitation ouvrant au soleil du matin, une cour creuse avec une mare et un tas de fumier où les poules s’activaient, grattaient et picoraient.
A l’aube, les coqs sonnaient le réveil, tout s’animait, le dur labeur de la journée commençait. Le charretier soignait et étrillait les 7 chevaux.
A l’étable, le vacher « curait », enlevait le fumier tandis que la fermière et la bonne se préparaient à « tirer », traire manuellement les 8 vaches et à soigner les veaux.
Le cochon grognait dans son « tet» en attendant la pâtée.
Les granges fermaient la cour au vent. Les maçons de la Creuse avaient fait du beau travail en la construisant. Mes portes étaient  en pierres de taille du pays et le linteau en anse de panier. L’hiver, les « batteux » en grange venaient avec leur fléau, battre, égrener, trier, vanner le froment.
Puis, plus tard, la batteuse et la chaudière à vapeur verront mes lieux renaître dans un bruit assourdissant, ensuite la récolte et le battage des gerbes de blé migreront vers un hangar plus fonctionnel.
Mais un jour vint ou ce fut la dernière moisson du dernier exploitant des lieux.
Adieu veaux, vaches, cochons, couvées !…
Maintenant on me tronçonne, et un pavillon moderne est là, au mitan de ma cour.
Je suis vieille, on me délaisse. Dès le matin plus personne dans mes murs et le soir personne ne vient s’asseoir sur le « bouteroue ».
Ainsi va la vie des métairies de nos villages, mais je n’oublie pas tout le travail et la sueur dépensés dans mes murs et dans mes terroirs.

La métairie