Lettre 011 : Du busard au promeneur

Cher promeneur,

Mon nom est Martin, busard Saint-Martin. Je plane sur la plaine de Beauce, sur les chaumes, les cultures, les chemins à la recherche de ma proie ! Oui, je suis un viandard, pas un zoziau qui chope quelques insectes au vol, mais des mulots, des surmulots, petits lapins ou lièvres, et même quelques rares perdreaux. Mais tu me connais, tu m’as déjà rencontré, vu planer en rase-motte au-dessus des blés ou des betteraves, mais toujours à distance, là je suis plus serein ! Je suis un rapace, pas un aigle, ni un oiseau de couleur, le plumage clair avec le bout des ailes noir.
L’autre jour, un drôle d’oiseau volait au-dessus de moi au moins à cent cinquante mètres d’altitude, de façon méthodique comme s’il arpentait le ciel de lignes parallèles d’une quarantaine de mètres. Je ne connaissais pas ce type de chasse, rabattre une proie pour l’amener dans un découvert (tel un banquier pour saisir un agio)… Ou avait-il perdu quelque chose, une bague ou tout simplement son chemin ?
Je m’approche de lui en quelques battements d’ailes et arrive à son côté. Il planait en émettant un petit sifflement, saccadé mais régulier.
« Eh, l’oiseau, ça plane ? » Pas de réponse !? Mais un petit œil bleu s’éclaire et j’entends :
« Connexion Bluetooth effectuée, attente connexion avec circus cyaneus ».
Ça alors ! J’en ai croisé des drôles d’oiseaux, Transall, Hercules C160 ou même des Airbus 400M, mais là un drone qui chante mon blaze en latin !!
Après un virage à 180°, je lui demande : « Tu cherches ton chemin, ta route, ton cap que dis-je, ton altitude ? »
« GPS ok, KML ok, mission photo en cours 3.6 Go collectés sur carte SD 32 giga, ok. »
Après un autre virage à 180°, il m’explique son boulot : faire des photos couleur dans l’infrarouge et proche infrarouge, pour alimenter des modèles agronomiques pour optimiser l’alimentation des cultures de céréales afin d’augmenter la qualité des récoltes en protéine végétale sans avoir d’impact sur l’environnement et les eaux souterraines.
??? Je lui ai foutu un coup de patte, il est parti en vrille !!
Je n’aime pas les prétentieux, avec leur gazouillis techno, les branchés du tweet avec leur plume dans le … Non, moi je suis libre, je vole au-dessus de ma plaine, je connais ma terre, ses sommières de terres noires qu’un versoir de charrue a amassées, ou ses zones plus sèches, blanches de pierres, ses affleurements de calcaire !!
Tout ce que tu ne vois pas de ton chemin ou de tes bottes, je pourrais te le raconter, tout au long de la saison, des semis à la récolte, de l’automne au printemps, de jour comme de nuit.
J’ai piqué pour l’attraper avant qu’il ne s’écrase au sol. Il avait perdu un morceau d’aile et pas mal de plumes. Tu le verras, je l’ai posé sur le toit de la cabane d’irrigation où je vais boire souvent à la gouttière.
Je sais qu’il y a plus d’un âne qui s’appelle Martin, mais si toute cette technologie permet de produire mieux, en respectant mon territoire et la biodiversité de ma plaine, je veux bien faire un bout de chemin avec toi.

Désolé,

Le busard