Lettre 013 : Du stockage de pommes de terre à Chloé Nurésie

Madame,

Voilà, je profite de ce que cette bande de saltimbanques chevelus, les fous de Bassan, remette le couvert en demandant à nouveau aux uns et aux autres d’écrire pour répondre à votre lettre d’il y a quelque temps déjà.
Quatre ans que j’attends cette occasion de vous dire que je n’ai guère apprécié le jugement de valeur que vous avez eu sur mon aspect extérieur. Sous prétexte d’une opération culturelle, « les lettres du Pays », vous avez écrit une lettre ridicule à « un petit coin » qui n’existe même pas, lettre où vous proclamiez que je défigure le paysage beauceron par ma seule présence au bord de la route en lisière de champ. Vous avez laissé entendre, sans subtilité, que « c’était mieux avant », du temps peut-être de l’agriculture de vos arrière-grands-parents, du temps où je n’existais pas. Le choix du correspondant absurde auquel vous vous adressiez dans cette lettre me laisse convaincu que c’était une façon déguisée de vous en prendre à moi et à tous les autres hangars de stockage de pommes de terre de la Beauce, une attaque indirecte mais une attaque tout de même.
Non contente de cette vile attaque, que vous n’avez même pas osé mener de front contre moi, vous avez trouvé moyen que cet écrit, portant atteinte à notre dignité, persiste à la lecture de tous sur le site internet des « lettres du pays » et ce depuis plus de trois ans. Cette lettre n’a pas sombré dans l’oubli à la première lecture comme elle le méritait et comme elle l’aurait dû, mais au contraire elle fut mise en avant avec tant d’autres, par des artistes hurluberlus de tout poil et de tous âges, amateurs et même professionnels, lors d’opérations de communication au sein du Pays. Ce grand cirque était ouvert à un large public, même au-delà du territoire Loire Beauce et s’est reproduit plusieurs fois. Ainsi, vous avez pu porter votre attaque diffamatoire à l’attention du plus large auditoire et ça, ça ne peut que me rester en travers de ma porte à double battant !! D’autant que des agriculteurs inconscients, souhaitant parler de leur métier à un large public, ont été entraînés par ces quasi anarchistes artistes, à participer à cette mise en exposition, cautionnant ainsi vos propos et cette calomnie à mon encontre.
Depuis cette large diffusion de votre opinion sur mon aspect hideux, opinion après tout toute personnelle, et avec la publicité qui en a été faite, je ne peux que m’apercevoir des regards réprobateurs et méprisants que les automobilistes ou autres passants véhiculés me portent en empruntant la D955 lorsque leur regard se tourne vers moi. Je suis meurtri, blessé et maintenant méprisé alors que j’apporte avec professionnalisme mon utilité dans l’économie agricole de cette région. Je fais mon boulot et je le fais bien. Ce n’est pas bien de se moquer de l’aspect extérieur des êtres. Après tout, pour vous ce n’était peut-être qu’une simple galéjade sans conséquence mais pour moi, c’est une remise en cause profonde de ce que je suis et de ce que j’apporte à la production de pommes de terre, à ma vocation d’aider à nourrir les gens. Sous mes tôles que vous moquez et même que vous vilipendez, sous cet aspect massif, se trouve une âme sensible, délicate et vous l’avez blessée sans pitié.
Par la présente, j’étale devant vos yeux, faisant fi de toute pudeur, la souffrance que vous avez apportée et je ne peux qu’espérer que vous aurez rapidement la décence de m’envoyer une lettre publique d’excuse pour réparer ces années de mépris et de rejet que vous avez générées.
Veuillez agréer, madame, l’expression de mes sentiments les plus froids.

Le stockage de pommes de terre sur la D955