Lettre 018 : De l’arbre de Beauce au passant

Nul ne sait qui m’a planté là. Peut-être une graine tombée d’une carriole ou soufflée par le vent.
Dieu qu’il souffle fort celui-ci, dans ma plaine de Beauce mais jamais je ne plie ni ne romps face au rude climat.
Je suis seul à la croisée du chemin et de cette départementale.
Et pourtant je vois passer beaucoup de monde : voitures, tracteurs agricoles, camions parfois vélos.
Jadis le fermier du coin attachait son cheval à mon tronc, pour reposer son attelage sous l’ombre de mon feuillage ou pour échanger avec son voisin.
Maintenant je ne suis qu’un arrêt pour un besoin pressant, souillant mon espace ou mon écorce, parfois pour une conversation avec leur drôle de boîte à son.
Heureusement quelques amoureux s’arrêtent les nuits d’été et mes feuilles frémissent de leurs mots doux, rompant la solitude de la nuit.
Mais rarement je suis seul, les oiseaux sont assidus sur mes branchages, le rouge-gorge chante à tue-tête les jours de grand soleil, le faucon crécerelle le jour et le grand-duc la nuit guettent le campagnol en cachette près de mon tronc.
Peut-être un jour Dame Cigogne me fera-t-elle l’honneur de se poser sur mes branches lors de ses périples migratoires.
Je ne demande pas la célébrité comme l’arbre du Ténéré, mais qu’on me laisse vivre en paix pour connaître d’autres étés.
Et si par malheur la foudre me brise le cœur, ce serait pur bonheur que l’on replante un autre acacia.
L’arbre de Beauce