Lettre 003 : Du sol de Beauce à Elise

Ma chère Elise,

Je profite de cette fin de trêve hivernale pour te donner quelques nouvelles de ma santé. Le gel vient en effet de lever son emprise de ma couche arable me libérant de ma dormance.
J’ai ouï dire que tu t’inquiétais pour moi… Il semble même que l’on ait évoqué que j’étais au plus mal ! Est-ce vrai que l’on dit de moi en ville que je serais mort, épuisé par l’agriculture intensive ? N’est-ce pas un peu exagéré ?
Je dois te dire qu’en effet, ces dernières années, les agriculteurs et moi avons été mis à rude épreuve pour vous nourrir. Voilà des siècles que je donne le meilleur de moi dans cette région de Beauce, grenier à blé de France. Depuis quelques décennies il nous a fallu décupler les efforts pour garnir vos assiettes de mets fabuleux qui ont repu les affamés de l’après-guerre. Je t’avoue que nous avons dû faire appel à quelques fortifiants parfois mal appropriés. De plus, depuis que les élevages ont disparu j’ai aussi été mis à la diète de ma nourriture favorite qu’est le fumier. La biodiversité que j’abrite en a tout autant été perturbée. On m’a aussi beaucoup remué et un peu piétiné, bref j’ai eu l’impression d’être relégué au rang de simple support pour céréales de compétitions. J’ai même pensé que mes agriculteurs ne m’aimaient plus…
Heureusement le bon sens paysan a survécu à cette période folle. Les agriculteurs comprennent bien que, lorsque je suis au meilleur de ma forme, j’apporte refuge et nourriture à la biodiversité tout en donnant les meilleurs blés du monde. Je retrouve donc peu à peu mon équilibre physique et biologique sous la bienveillance de mes agronomes. Les progrès de la science nous aident vraiment à mieux comprendre mon fonctionnement apportant ainsi les techniques les plus appropriées et bénéfiques pour tous. Tu vois, c’est loin d’être catastrophique et ça progresse.
Le mieux serait que tu viennes me rendre visite ! Troque tes escarpins pour les bottes ! Tu verras par toi-même que l’on a raconté beaucoup de bêtises. Tu constateras aussi que mes agriculteurs s’occupent bien de moi avec des moyens différents ayant tous leurs avantages et inconvénients. Tu sais, il n’y pas de solution universelle et c’est souvent plus complexe qu’il n’y paraît.
En attendant ta visite, je pense que ces quelques mots te permettront de rassurer tous ceux qui sont loin de moi.
A très bientôt.

Le sol de Beauce