Comme nous étions nombreux, nous les arbres, sur les terres de la commune, plusieurs milliers, bien alignés sur des fils de fer, bien tenus par des piquets d’acacia.
Dans les endroits humides, ce sont les poiriers qui avaient ravi la terre aux vignes, comices, beurrées, passe-crassanes. Les pommiers eux avaient conquis le val.
Arrivant au bord du plateau de Beauce, avant de descendre dans ce val, vous pouviez voir au printemps, toute cette étendue remplie de fleurs et de senteurs, et durant l’année, regarder l’intense activité qui se déroulait en ces lieux.
Nous étions alors en pleine jeunesse, nous nous savions mortels, mais nous n’avions pas pensé qu’une grande épidémie puisse nous anéantir en si peu de temps : le virus est « l’économie », le commerce. Nous voilà tous à terre, brûlés, broyés, le sol qui nous a portés est à nu, triste, désolé. Les animaux qui y trouvaient refuge, errent au milieu de ce désert, cherchant un bosquet pour se cacher.
Mais attendez petits oiseaux, lièvres, lapins, chevreuils, dans quelques années la forêt, les fourrés, remplaceront les cultures des hommes. La nature qui a horreur du vide reprendra ses droits, les écologistes seront contents.
A ce moment-là, la nourriture viendra peut-être à manquer, car quelques mûres, des noisettes sauvages, quelques pissenlits, orties et autres herbes ne suffiront pas à remplir les estomacs. Que mangerez-vous, vous les petits-enfants de demain ?
Sans doute des produits importés de pays sans normes sanitaires et sans lois sociales.
Un écologiste disait à la radio qu’un hectare de forêt produisait plus de biomasse qu’un hectare de terre cultivée. En combien de temps cela ? Il ne le précisait pas. Que feront-ils de cette biomasse ligneuse, de la nourriture ou des cercueils ?
Nous les arbres, nous sommes morts, mais c’est l’agriculture française et les agriculteurs qui meurent avec nous. Seul l’argent fait la loi. Il n’y a plus d’humanité, tout est commerce et rentabilité.
Les arbres