Lettre 036 : De l’alouette à vous

À vous,

Blottie au bord d’un chemin, lorsque je prends mon vol, je me sens un peu seule au milieu de cette grande plaine de Beauce !… Mes comparses sont éloignées, nous ne sommes plus guère à nous exprimer parmi ces importantes parcelles de culture !
En regardant le livre de mes ancêtres d’il y a une soixantaine d’années, j’observe qu’elles vivaient dans un autre monde !
Certes la diversité du paysage d’alors, du parcellaire plus émaillé, de cultures plus nombreuses, d’un travail assuré par la traction animale donnait le visage d’une plaine plus calme qu’aujourd’hui !
Ainsi il était plus facile de se reproduire, il existait alors beaucoup de familles d’alouettes, de la nourriture en abondance, la plaine était vivante. Vivante, car les petits vols dès le lever du soleil et les chants au cours de la journée accompagnaient le travail des paysans.

Les paysans par contre, il fallait s’en méfier, car les plus intrépides, à l’aide de larges filets, parcouraient la plaine la nuit, nous surprenaient dans notre sommeil et bon nombre d’entre nous se prenaient dans ces filets. Elles finissaient leurs jours sur les marchés locaux, nous étions vendues par douzaine !!! Bon nombre ont fait la renommée d’un pays beauceron : « Pithiviers avec son pâté d’alouettes ».
Toujours, ces paysans chasseurs avaient un malin plaisir à nous attirer vers leurs miroirs qui au gré de leur scintillement au soleil du matin étaient signe de la mort pour les consoeurs. Nos ancêtres surmontaient ces moments tragiques, car leur volonté de vivre les incitait à se reproduire en abondance et à donner cette note vivante en cette plaine de Beauce !

Faut-il que je pleure aujourd’hui ? Non, car j’espère que l’attention du paysan d’aujourd’hui permettra, dans les temps qui viennent, un équilibre plus mesuré de l’entretien de cette plaine de Beauce, plus varié. Que les jeunes générations puissent à nouveau rendre plus joyeuse cette vie dans le ciel de Beauce.

L’alouette