Lettre 006 : Du champ de blé à la Bretonne

  • Canton : Patay
  • Commune : Villeneuve sur Conie

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Bonjour à toi, petite Bretonne,

Je suis le champ de blé, tu sais, celui que tu aimes regarder, l’été, quand le vent vient faire onduler mes épis et qui te fait penser à la  mer.
Je sais aussi que, malgré les longues années passées dans la Beauce, tu as du mal avec ce paysage, un peu ingrat. Il est vrai et qui ne ressemble en rien à ta Bretagne natale ! Quoique… Si tu regardes bien, chez toi aussi il y a des champs de blés, certes, moins grands qu’ici et surtout séparés par des petites haies et des arbres… je sais !
Je vais donc essayer de te faire découvrir ce qui est beau dans ce pays de Beauce. Prenons l’ordre des saisons en commençant par l’été, puisque c’est la saison où je suis le plus beau, où ma couleur passe  du vert au doré  et que c’est celle que tu préfères.
T’es-tu déjà émerveillée en regardant un champ de pavots qui inondent la campagne de leur couleur rose ? Et devant celui de tournesols qui semblent faire la  révérence au soleil et dont le jaune rayonne de tous ses éclats ? Sans oublier le bleu lavande des étendues de lin qui contraste avec le vert des champs et semble se mêler à la couleur du ciel ? Quand mes blés sont mûrs, on sent comme une odeur de pain chaud qui se répand comme pour préfigurer l’odeur du pain craquant sur la table du petit déjeuner.
L’automne est une saison que tu aimes aussi à cause de ses magnifiques couleurs changeantes. Les arbres, même s’ils ne sont pas très nombreux en Beauce, changent leurs parures et leurs feuilles passent du vert, au jaune, au rouge, au marron, selon les espèces. C’est un ravissement pour l’œil et je vois beaucoup d’enfants, surtout, ramasser ces jolies feuilles pour en faire des herbiers ou des marque-pages. C’est aussi le temps de la récolte du maïs ; leurs longues tiges ornées d’un agglomérat de petites graines rondes et jaunes qui seront « crachées » par les grosses moissonneuses dans les remorques qui attendent patiemment au bord des champs. Le vent, oui, je sais que tu aimes le vent en Bretagne mais pas ici, car dans ces plates immensités toute sa force s’enfle sur des kilomètres et il est souvent violent et destructeur, mais on peut apprécier son sifflement dans la cheminée, ou son doux bruissement dans les feuilles des arbres  avant qu’elles ne tombent pour tapisser le sol d’une couverture multicolore.
L’hiver, sans doute la saison la plus difficile dans la région, a aussi ses atouts. Regarde bien les arbres au long de la Conie, quand ils sont tout nus et tendent leurs branches vers le ciel comme des moignons, on peut y voir tous les nids que les oiseaux ont faits et qui restent vides jusqu’au printemps prochain. Et quand le froid très intense s’installe, la campagne se recouvre de givre et la beauté du paysage est époustouflante. Tous les végétaux semblent recouverts de diamants qui scintillent au soleil. Et, quand la neige fait son apparition, on voit d’immenses étendues blanches que viennent troubler quelques chevreuils et où l’on peut suivre, à la trace, les chats et les petits oiseaux qui deviennent des peintres sur la grande toile blanche.
Enfin, le printemps, réveil de la nature ! Si tu cherches bien, tu verras, dans les jardins, poindre les crocus en premier, puis les narcisses, les jonquilles… et sur les arbres, tous les petits bourgeons gorgés de sève et prêts à éclater en petites feuilles aux couleurs tendres. Les arbres fruitiers arborent aussi leurs jolies fleurs blanches ou roses avant de nous donner leurs fruits juteux et savoureux. Mais je parle toujours des autres. Moi aussi, c’est au printemps que l’on me sème et l’on va me chouchouter pendant plusieurs mois jusqu’en juillet, où je serai récolté pour le plaisir de tous.
J’espère que ma lettre te permettra d’ouvrir tes yeux et ton cœur et d’apprécier, à sa juste valeur, ce pays de Beauce qui est devenu le tien. Je te dis, à cet été, quand tu viendras me chuchoter par le biais du vent tout ce que tu as découvert de beau et qui restera gravé en toi.
Bonne route, petite Bretonne et peut-être un jour pourrais-je dire : « petite Beauceronne » !

Le champ de blé.