Lettre 026 : De l’abri à Madame

  • Canton : Meung sur Loire
  • Commune : Meung sur Loire

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Chère Madame,

Vous qui passez sans me voir…
Je me permets ce plagiat pour attirer votre attention.
Souvenez-vous, il y a 35 ans, vous arriviez de votre Nord natal, après une halte dans !’Oise, pour vous installer ici entre villages et campagne.
Vos promenades vous conduisaient à travers champs et les quelques fermes et bâtisses que vous longiez m’encadraient, Moi, Abri, fait de deux murs en pierres, d’un toit en tôle ondulée, d’un fond en planches de bois disloquées.
Là, se trouvait un vieux cheval de trait à robe blanche pommelée, au port serein et doux.
Vous n’aviez de cesse d’attirer son attention et de le caresser lorsqu’il penchait sa tête vers vous.
Son maître venait le chercher pour une promenade sur I’île, ce qui permettait quelques échanges entre vous, puis chacun retournait à ses occupations.
Vint le jour où le cheval partit vers d’autres cieux, de façon naturelle.
La charrette qu ‘iI  tirait a pris sa place.
Combien de fois ne vous ai-je entendu dire que vous aimeriez en posséder une si vous aviez de quoi l’héberger – Au fait, ce rêve est-il devenu réalité ? –
Cette charrette n’est plus aussi, qu’un souvenir parmi tant d’autres. Sa disparition m’a précipité dans I’oubli, dans l’ennui, votre attention se détournant de moi. Une grosse chaîne, un peu rouillée, marque une forme d’interdiction d’entrer.
Je ne vous intéresse plus, le vide que je renferme fait fuir.
De temps en temps, une voiture se blottit dans mon logis pour se protéger des intempéries. Vous jetez un coup d’œil, l’intérêt s’émousse, l’indifférence s’installe. Bien que je ne sois que pierres, bois, tôle, je suis vivant ! Je m’insurge contre cette situation où je n’existe qu’à travers des êtres, des choses qui ne sont pas MOI ; je respire, je soupire, je ressens des émotions comme tout un chacun, aussi après  lecture de cette missive, s’il vous plait, attardez-vous auprès de MOI et considérez I’ABRI que je suis comme un AMI.
Excusez mon audace, Madame, mais je sais qu’elle vous touchera et qu’une ère nouvelle pour nous deux s’ouvrira.
Avec toute mon Amitié,

L’Abri.