Lettre 129 : De la Loire à Léo

  • Canton : Meung sur Loire
  • Commune : Meung sur Loire

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Léo,

Tu te souviens ? Ça va faire cinquante ans mon petit Léo, cinquante ans que tu viens me voir tous les jours après la messe, dans ton bel habit gris-vert. Je t’ai vu et connu sous tous les états, soucieux, mélancolique, pensif, joyeux, malheureux, drôle. Bref, je vais t’avouer mon plus beau souvenir qui m’a émue tant d’années. Tu te souviens, août 1964, quand vous veniez d’incinérer votre fils Lucia, mort au combat pour la France pendant la guerre d’Algérie. Cinquante ans plus tard, je n’ai rien oublié.  Je continue ; quand je t’ai vu arriver, le dimanche, avec ta petite urne sous le bras, que tu m’as regardée longuement, le vent soufflait fébrilement ce jour-là.
Tu ouvris le pot et une nuée noire disparut dans l’horizon de mes eaux infinies. Je recueillis tes larmes où je compris toute l’étendue de ton désespoir. Cette eau que tu vois là, ce sont tes larmes. Elles m’ont remplie d’émoi ce jour-là. Tiens, regarde la bataille de Meung-sur-Loire. Pendant la guerre de cent ans, cinq mille  hommes perdus dans cette bataille. J’en ai charrié des corps en moi. Regarde l’ancien pont : mort ! C’est comme une partie de moi que j’ai perdue.
Tu vois Léo, nous sommes pareils, toi et moi. Voilà Léo, cela nous fait des points communs, à toi et à moi.

La Loire