Lettre 133 : Du pavé anonyme à l’enfant

  • Canton : Meung sur Loire
  • Commune : Meung sur Loire

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Mon cher enfant,

Je t’écris pour me faire pardonner. Je m’en suis voulu, l’autre jour, de t’avoir fait tomber. J’avais pas fait attention, tu rentrais de l’école, tu courais .Tu étais content et moi comme un idiot, j’avais un coin qui rebiquait, il a fallu que tu butes dessus et vlan ! Quand je t’ai entendu hurler j’ai cru que, je sais pas, que c’était vraiment grave. Heureusement, ta maman t’a relevé. Je l’ai entendue dire : « ce n’est rien chéri, tu vois, c’est tes lacets …non y’a rien, c’est un bobo de chat… » J’ai compris que le petit carré de chocolat t’avait définitivement guéri, mais je m’en suis voulu, c’est pour cela que je t’écris.
Je ne suis qu’un pavé, un morceau de pierre taillé dans le calcaire des pierres de Baule. Mon plus grand malheur est d’avoir fait tomber bon nombre de gens .Oh ! tu sais,  des pleurs, j’en ai entendu. Tu es courageux tu sais, un vrai petit héros ! Tiens puisque tu es un héros, je vais te raconter l’histoire d’un autre héros, lui aussi courageux, mais beaucoup plus vieux. L’histoire de Marcel. Oh !  Marcel, un jeune homme de 20 ans à peine, plein de fierté et de solidarité. Un soir de juillet 1848, une foule s’amassait dans la rue ; sur moi marchaient des sabots comme souliers, signe de mélange de personnes. Donc, ce soir là, se passait une révolution du peuple contre son roi. Quelque chose d’important. Et j’étais là. Oh  oui !  j’en ai senti des pas assurés, d’autres hésitants, mais décidés à changer la face du monde. Des tirs puis des cris ! Marcel  lui, tenait la main de sa petit amie, une belle jeune fille. Il lui a chuchoté à l’oreille  que ce soir serait le soir du changement, ils allaient enfin pouvoir vivre  ensemble. Oui, car les différences culturelles assombrissaient leurs relations, mais si ce soir là, le peuple pauvre gagnait, alors la face du monde changerait. Elle rigolait, l’embrassait sur la joue, lui, rougissait. Il tenait une carabine, usée certes, mais qu’il  tenait comme on tient un enfant. Deux …trois… coups de feu retentirent. Et là, j’ai prié. Oh  oui ! j’ai prié tous les dieux, toutes les divinités. J’ai prié pour Marcel, pour que Marcel ne soit pas touché, ne soit pas victime de l’horreur humaine ; malgré ça, un coup fracassant retentit, un bruit sourd, puis des cris. Marcel à terre,  la joue collée contre moi J’ai senti sa chaleur éphémère, je l’ai entendu supplier à Marianne de s’enfuir pour ne pas être touchée, elle ne voulait pas laisser Marcel. Alors, il lui a dit : »Pars Marianne, ne reste pas là, tu risques de mourir, pitié laisse moi ici, je t’aime, ne l’oublie jamais… » J’ai senti Marianne se pencher sur moi ou plutôt sur la joue de Marcel pour l’embrasser une dernière fois. Elle s’est enfuie en titubant ; j’ai senti le corps de Marcel se refroidir à jamais, partir…Oh Marcel ! tu es éternel, oui, car tu vis en moi.
C’est bizarre hein ? Oui, bizarre que je te compare à Marcel ? Non, pas vraiment, vous avez un point commun, vous êtes courageux et quand tu t’es levé j’ai imaginé Marcel se relever vers l’avenir, retrouver sa bien-aimée, changer la face du monde. Tu t’es levé, tu as arrêté de pleurer et puis tu es parti.
Merci de m’avoir ravivé le souvenir de Marcel, Merci encore.
Affectueusement,

Le pavé anonyme

Ps : La cicatrice que je t’ai laissée, n’oublie jamais, elle est la preuve que tu as souffert et souffrir c’est vivre….