Lettre 138 : De Julien au moulin de Villechaumont

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Beaugency

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Cher vieux Moulin de Villechaumont,

J’ose à peine t’écrire sur la pointe des crayons. Tu as disparu depuis des lustres du paysage du hameau. Les souvenirs s’effilochent des mémoires, sauf dans celles des anciens qui en gardent quelquefois jalousement les images nostalgiques.
Image…
Un soir d’orage. Les moissons n’ont pas commencé. Route de Cravant à Beaugency. Passé la têtière de Villechaumont, où ta carcasse de bois, tes squelettes d’ailes dominent encore à côté de la grande ferme, on dévale sur Villevert. On arrête la voiture, ou la charrette, ou la gerbière et on se retourne…
Tout prend place dans le cliché. Une immense nuée gris plomb, frangée d’or par le soleil déchirant, emplit l’horizon. Arrière-plan : le grand arbre – noyer guignier ? – borde la route, suivi des bâtiments compacts de la ferme.
Premier plan.
Une  mer de blés d’or, comme dans la chanson du même nom, chère aux paysans.
« La lourde nappe et la profonde houle et l’océan des blés » de Péguy
Une peinture de Vlaminck qui flamboie sous l’orage aux accents wagnériens ; puis, quand le calme revient, tout s’apaise.
Toi, le moulin de Villechaumont, tu tournes « au fond du soir, très lentement, sur un air de tristesse et de mélancolie, » avec Verhaeren.
La meunière aux croix d’or sanglote ; le meunier est parti vers les moulins à eau de la ville, sur le Rû, sur les Mauves, sur le Lien, jusqu’à la Loire.
Un sinistre soir d’automne, moulin de mon cœur, tu t’es écroulé d’épuisement, de désespérance et surtout d’abandon.
Mais les souvenirs ne meurent pas, eux ; les mots remontent les années par les chemins de traverse– pas vrai, Gaston Couté ? –  et ce pays de petite Beauce-Loire, ou de Loire-Beauce, comme tu voudras, tente de les faire revivre avec bonheur, et pour notre bonheur.
Alors, Moulin de Villechaumont, Moulin de Troussay, Moulins de Beaugency, je vous salue, avec la nostalgie de Josquin des Prez
« Mille regrets de vous abandonner
et d’eslongner notre face amoureuse ;
J’ai si grand deuil et peine douloureuse qu’on me verra…
… brief mes jours définer… »

Ton vieil ami
Julien