Chers touristes,
J’étais un bateau, le « passeur de la plage » de Beaugency.
J’étais le lien, entre le village et la plage, pour ceux et celles qui ne partaient pas en vacances, dans les années cinquante, soixante.
Vous me direz qu’elle n’était pas si loin cette plage ! Mais pensez aux jeux, aux pique-niques, aux chapeaux de soleil, c’était une expédition, surtout s’il fallait déjà venir au-delà du centre. Je rendais de fiers services à des petites jambes fatiguées, le soir, par une journée de plein air. Et les grands-mères qui accompagnaient souvent la progéniture, elles ne seraient pas venues si le chemin avait été plus long ! Et sous le soleil du mois d’août !
Un capitaine me conduisait, on dirait maintenant un « job d’été » et je pratiquais bien sûr nombre de rotations dans la journée.
Ah ! l’enthousiasme de ces petites têtes blondes, un ballon d’une main, la pelle et le seau de l’autre qui piaffaient d’impatience sous les remontrances bienveillantes des parents ! Car il fallait attendre son tour, aux heures de pointe. C’était comme le métro, tout le monde partait et rentrait dans les mêmes créneaux horaires. Bien des bambins ont fait du bateau avec moi pour la première fois. L’émerveillement était là, car quoique court, le voyage était partie prenante de la journée de détente.
La Loire, mon maître la connaissait sur le bout des ongles, avec ses pièges et ses chausses trappes ; elle était sournoise, disait-on, avec ses bancs de sables mouvants. L’intérêt de mon existence est où la baignade était autorisée. Les recommandations de sagesse étaient fréquentes et chacun savait que je faisais le maximum pour aborder sans encombre le rivage tant attendu.
On me remisait pendant la basse saison et j’avais droit à un lifting et des soins attentionnés pour mieux repartir l’été suivant. Je n’étais pas de toute jeunesse, mais vaillant, le cœur à l’ouvrage.
J’étais heureux de promener en majorité la jeunesse car je leur donnais du plaisir. Beaucoup ne connaissaient pas la mer, mais peu leur importait, l’agrément était le même, l’eau, le sable, les balançoires et la promenade en bateau, tout était conjugué pour un bonheur maximum.
Un jour, il a été décidé que je n’étais plus utile. Les vacances allaient plus loin grâce aux véhicules nouvellement acquis.
Mon chargement s’était allégé peu à peu, les rires s’étaient tus, mon moteur s’était enroué, mon maître m’avait abandonné.
Qui se souvient, en cette année 2012, du passeur de Beaugency, modeste barque de bois, acteur éphémère des saisons estivales, sans prétention, sans souci de la postérité ?
Peut-être quelques « 3ème âge » qui connurent leurs premières échappées vers la plage sous le ciel de Beaugency là ou moi, le passeur, sans relâche, je déchargeais mon flot d’estivants appréciant les attraits de la Loire et de ses berges.
Le passeur de Beaugency