A toi, le lointain,
A toi, la lointaine,
Qui ne m’a jamais vu, jamais encore connu, jamais encore rencontré, je t’invite à venir me voir, à passer près de chez moi.
Quelque soit la saison, tu me reconnaîtras.
Jamais pareil, mais toujours au même endroit.
Viens me voir, j’ai tout à raconter.
Je suis là depuis si longtemps. J’ai vu naître deux siècles, j’en ai vu deux s’achever.
J’ai vu des êtres vivants de leurs balbutiements à leurs derniers moments.
J’ai vécu les bombardements, j’y ai survécu.
Je n’ai pas eu à repousser comme mon quasi frère à Hiroshima.
Je suis haut maintenant et pourtant très très bas, épais et fin à la fois.
Je vois du monde, j’entends des voix, je sens les êtres autour de moi. Je change au fil des jours, des saisons et des ans.
Je suis regardé, admiré, j’ai une bonne situation.
Si tu viens en bateau, passe par la Loire, arrête-toi au pays du vinaigre, monte la rue aux arcades jusqu’à la place de la jeune fille sur son cheval. Suis le regard du cheval et prends la rue qui va tout droit, passe devant l’église à ta droite avec les toilettes pour chiens.
Et va vers la place aux pavés.
Un peu avant, tu pousseras un portillon à ta droite et tu me verras. Tu ne peux pas me manquer.
Et si tu ne vois pas, penche-toi et ramasse une de mes feuilles. Elles sont très douces et en forme d’éventail.
Pour ceux qui voient, elles sont de couleurs différentes selon la période.
Vert ou jaune comme ce papier.
Il paraît qu’elles ont des vertus, pour la micro-circulation, la mémoire.
Goethe a très bien écrit sur un de mes frères allemands.
Nous sommes plusieurs à Orléans. L’un d’entre nous est dans un jardin près de la Loire, d’autres longent la prison, un autre au Jardin des Plantes (très prisé des laboratoires), un autre encore au sud de la Loire. A Olivet, il y a des porteurs de fruits, ceux qui sont appréciés en Chine.
Tu trouveras mes semblables à Chaingy, à Huisseau ; jeunes ou anciens.
Si tu viens en train et que tu passes à Saint-Sulpice-Laurière, en sortant de la gare, tu trouveras mes frères.
Mais peut-être viens-tu de Paris, va saluer celui qui est au bout du Jardin des Plantes, juste avant de prendre le train pour Orléans.
Si tu viens de Montréal, au Parc Lafontaine, ramasse une feuille pour moi et rapporte-la moi.
D’où que tu viennes, je t’accueillerai, où que tu ailles, tu trouveras l’un de nous.
Quand tu auras passé le portillon, tu peux faire le tour du jardin ou t’asseoir sur un banc et te poser.
Là, laisse-toi conter quelques siècles d’histoires, de toutes ces bribes de conversations, de ces jeux, de ces rencontres que j’ai pu observer, de ces soins de ceux qui travaillent dans ce jardin.
Ils ont même fait déplacer des ruines pour que je puisse les contempler. Je ne peux pas me déplacer, il faut venir à moi.
C’est pour cela que je te propose de venir me rencontrer.
Peut-être pourras-tu répondre à mes questions.
Celle-ci par exemple : que fera-t-on de mon bois le jour où je ne serai plus à cet endroit ?
Des verres à pied ?
Des écritoires ?
Des plumiers ?
Je t’attends… Réponds-moi… à ta façon !
Le Ginkgo derrière la place aux pavés.