Lettre 239 : De la charrette à la Julie

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Beaugency

Voir toutes les lettres

Eh alors, la Julie,

Mais qu’est-ce qui t’prend d’me décrasser, d’me brosser, d’m’asperger d’eau glacée, moi que personne ne r’gardait plus d’puis belle lurette.
Une belle couche gris fumée, bien poussiéreuse, confortable à souhait pour mes amies les araignées, me tenait bien chaud l’hiver, ma foi !
Mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête, d’me sortir de la grange d’la mère Simon, pour m’installer au milieu d’la cour d’la ferme, sous un soleil de plomb ?
Ah, tu veux m’cirer, m’graisser, m’faire briller, m’habiller, m’fleurir, m’faire belle pour que j’aie l’allure des grands jours. Mais pour quoi faire, bon sang ? Pour aller où ?
Ah, c’est une surprise !
A ton mariage ! Tu veux faire l’tour du pays en robe de mariée, installée comme une princesse sur ma banquette !
En voilà une idée qu’elle est bizarre …
Eh ben, en 40, quand l’oncle, c’est comme ça qu’on l’app’lait, y m’a sortie en catastrophe d’la grange, c’est pas un p’tit tour qu’on m’a fait faire mais une drôle de balade !
Là aussi, ça été une sacrée surprise, cré nom de Dieu … Quelle débâcle !!!
Y paraît que l’15 juin à quatre heures du matin, l’maire de Beaugency, c’était l’docteur Hyvernaud à c’t époque, eh ben, il a r’çu un télégramme qui lui d’mandait d’embarquer toute la population à Orléans et tout le monde devait se munir de trois jours de vivre.
Tu parles d’une histoire !
Alors nous v’là partis sur les routes.
Ah l’chantier !… J’avais un mal de chien à avancer : des queues d’charrettes et d’voitures à n’en plus finir…, des cadavres sur l’bord des routes …
La cousine Germaine de l’oncle, qu’habitait d’l’aut’e côté du pont, a voulu partir en voiture, avec une amie, sur la route d’La Ferté-Saint-Aubin.
D’un seul coup, ça c’est mis à tirailler d’partout.
Berthe, l’amie qui conduisait, prise de peur, a perdu l’contrôle, et paf, la voiture dans un arbre …
La Germaine est rentrée vite fait chez elle, la figure toute bleue !
Et moi, pendant c’temps, chargée comme une mule, j’en bavais… J’étais tellement chargée qu’ma roue droite a fichu l’camp. La grand-mère qu’était perchée tout en haut a failli valdinguer dans l’fossé ! Heureus’ment, ma roue a été rattrapée au vol, raccrochée, et c’était r’parti comme en 14 …
Quèque temps après, l’oncle a piqué un coup d’sang. Il a crié : « Mais c’est quoi c’bordel ? Y’en a marre ! On rentre ! »
Et nous v’la r’partis dans l’aut’e sens. Pas triste l’retour à la ferme… Sans d’ssus d’ssous, tout était sens d’ssus d’ssous… la vaisselle sortie, cassée, salie, les armoires à linge vidées… Et j’t’en passe…
Ah ! Déjà 70 ans …
Mais au fait, la Julie, qui est-ce donc qui va m’tirer pour ton mariage ? Elle est pus là, la vieille Pompon.
Qui ? John ? John comment ? John Deere ? Connais pas !

La charrette

Eh alors, la Julie,

Mais qu’est-ce qui t’prend d’me décrasser, d’me brosser, d’m’asperger d’eau glacée, moi que personne ne r’gardait plus d’puis belle lurette.

Une belle couche gris fumée, bien poussiéreuse, confortable à souhait pour mes amies les araignées, me tenait bien chaud l’hiver, ma foi !

Mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête, d’me sortir de la grange d’la mère Simon, pour m’installer au milieu d’la cour d’la ferme, sous un soleil de plomb ?

Ah, tu veux m’cirer, m’graisser, m’faire briller, m’habiller, m’fleurir, m’faire belle pour que j’aie l’allure des grands jours. Mais pour quoi faire, bon sang ? Pour aller où ?

Ah, c’est une surprise !

A ton mariage ! Tu veux faire l’tour du pays en robe de mariée, installée comme une princesse sur ma banquette !

En voilà une idée qu’elle est bizarre …

Eh ben, en 40, quand l’oncle, c’est comme ça qu’on l’app’lait, y m’a sortie en catastrophe d’la grange, c’est pas un p’tit tour qu’on m’a fait faire mais une drôle de balade !

Là aussi, ça été une sacrée surprise, cré nom de Dieu … Quelle débâcle !!!

Y paraît que l’15 juin à quatre heures du matin, l’maire de Beaugency, c’était l’docteur Hyvernaud à c’t époque, eh ben, il a r’çu un télégramme qui lui d’mandait d’embarquer toute la population à Orléans et tout le monde devait se munir de trois jours de vivre.

Tu parles d’une histoire !

Alors nous v’là partis sur les routes.

Ah l’chantier !… J’avais un mal de chien à avancer : des queues d’charrettes et d’voitures à n’en plus finir…, des cadavres sur l’bord des routes …

La cousine Germaine de l’oncle, qu’habitait d’l’aut’e côté du pont, a voulu partir en voiture, avec une amie, sur la route d’La Ferté-Saint-Aubin.

D’un seul coup, ça c’est mis à tirailler d’partout.

Berthe, l’amie qui conduisait, prise de peur, a perdu l’contrôle, et paf, la voiture dans un arbre …

La Germaine est rentrée vite fait chez elle, la figure toute bleue !

Et moi, pendant c’temps, chargée comme une mule, j’en bavais… J’étais tellement chargée qu’ma roue droite a fichu l’camp. La grand-mère qu’était perchée tout en haut a failli valdinguer dans l’fossé ! Heureus’ment, ma roue a été rattrapée au vol, raccrochée, et c’était r’parti comme en 14 …

Quèque temps après, l’oncle a piqué un coup d’sang. Il a crié : « Mais c’est quoi c’bordel ? Y’en a marre ! On rentre ! »

Et nous v’la r’partis dans l’aut’e sens. Pas triste l’retour à la ferme… Sans d’ssus d’ssous, tout était sens d’ssus d’ssous… la vaisselle sortie, cassée, salie, les armoires à linge vidées… Et j’t’en passe…

Ah ! Déjà 70 ans …

Mais au fait, la Julie, qui est-ce donc qui va m’tirer pour ton mariage ? Elle est pus là, la vieille Pompon.

Qui ? John ? John comment ? John Deere ? Connais pas !

La charrette