Aux passants,
Histoire d’amour, projet, construction, inauguration, sourires, ruban, grandes pompes, vin d’honneur.
Rencontres rituelles, bavardages, amitiés, éclats de rire.
Puis baisse des visites, fleurs plantées qui poussent, vite, trop vite, elles débordent.
Usagers lassés de me nettoyer.
Tout le monde passe devant moi,
plus personne ne me voit,
plus personne ne me regarde,
plus personne ne s’intéresse à moi, on me néglige : je rentre dans le grand espace de l’indifférence.
Je suis bafoué : seuls les chiens me fréquentent avec la régularité d’une horloge et leurs bonnes causes à eux ; car moi, maintenant : je pue.
Les écorces de pin censées protéger les nobles plantations sont poussées par les pluies et le vent, puis elles s’avachissent sur moi, les unes après les autres, comme si cette chute devenait un but ultime : se mélanger avec les herbes invasives, évaser mes bornes, ronger mes limites, grignoter ma structure, mon rectangle …
A moi, au secours, je disparais …
Je deviens une vague contre-allée ni gazonnée, ni gravillonnée, ni goudronnée : un espace indicible, sans vie, sans identité …
Je suis en plein centre du bourg, au carrefour des vies, des loisirs de la culture…et je meurs, je fonds dans le paysage.
Je vous vois tous passer à mon côté mais vous, me voyez-vous encore ?
Vous souvenez-vous encore pourquoi vous m’avez construit ?
C’était pour vous aider à vous rencontrer, à vous aimer, à rire, à vivre …
Où êtes-vous, là, maintenant ? Vous rencontrez-vous plus et mieux ailleurs ?
Riez-vous ? Vivez-vous ?
Je ne sais plus, je ne cherche même plus à évacuer mes flaques d’eau : ce sont mes larmes …
Oui, voisins, passants : votre terrain de pétanque pleure …
Quoi !? Je rêve : un petit râteau souple, une paire de gants de jardin pour arracher ces herbes …
C’est vrai ?! Vous m’aimez encore ? J’ai encore toutes mes chances ?!
Ah merci l’amour !
Le terrain de pétanque.