Lettre 289 : Des résidents au Parc des Mauves

  • Canton : Meung sur Loire
  • Commune : Huisseau sur Mauves

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Cher Parc des Mauves,

Quel joli nom tu portes ! C’est rare de regrouper trois petites rivières sous le même nom, mais cela nous va bien. Nous non plus, ici, à la maison de retraite, nous ne nous sentons pas seuls et nous partageons souvent nos souvenirs. Cet après-midi d’avril, un écrivain nous a prêté sa plume pour les écrire. Alors nous en profitons pour te les envoyer…
Nous avons parlé de mille choses. Certains d’entre nous ont pris des chemins détournés pour te rejoindre. Comme Marie-Paule, née à Bellegarde dans le Loiret. Elle a été militaire AFATE et son mari, André, était cheminot et tu vois, le train, c’était déjà l’envie de voyager. A propos de voyages, Nicole a eu l’occasion, avec son mari militaire de carrière, d’en faire de nombreux ; elle nous parle volontiers de la Hollande où elle a retrouvé le plat pays et les moulins à vent que tu connais bien.

« Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent d’ouest écoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien »

D’autres, comme M.BAUX, n’ont pas choisi leur voyage : lui est allé en Algérie. C’était la guerre. Il tirait les draisines sur les rails pour vérifier que la voie n’avait pas été minée. Voir mourir un copain à côté de soi est un moment qui vous hante toute votre vie. Robert a connu une autre guerre, celle de 40. Les souvenirs qu’il veut garder sont moins dramatiques : les petits bals clandestins, organisés dans les granges avec un phonographe dont l’aiguille en acier courait sur la galette noire des 78 tours.  A la Libération, il a effectué son service militaire en Autriche ; il en garde le souvenir d’un pays verdoyant que les bombardements n’avaient pas trop affecté. Quand il a prononcé le mot Libération, tout de suite un refrain nous est venu sur les lèvres :

C’est une fleur de Paris
Du vieux Paris qui sourit
Car c’est la fleur du retour,
Du retour des beaux jours
Pendant quatre ans dans nos cœurs
Elle a gardé ses couleurs
Bleu, blanc, rouge, avec l’espoir elle a fleuri,
Fleur de Paris

Mais la Libération s’est aussi accompagnée de choses pas très belles à voir : les femmes tondues et autres règlements de comptes dont nous n’avons pas le cœur de parler.
Mieux vaut évoquer la belle plaine de Beauce, celle de Roger à Bizy et de Joseph à Anchat. Tous les deux étaient agriculteurs. Ils se connaissent depuis 70 ans. Ils cultivaient des betteraves sucrières et cela ne t’étonnera pas, des céréales. Roger se souvient avec émotion de ses trois tracteurs : d’abord un Ferguson qui venait d’Ouzouer-le-Marché dans le Loir-et-Cher, puis un petit Someca orange de 40CV et, pour finir, un Fordson Majeur bleu, un 45CV. Dans sa jeunesse, comme les plus âgés d’entre nous, il avait connu les chevaux – c’est la guerre qui les mit à la retraite. Il en a toujours gardé trois pour les petits travaux. Il en élevait un jeune, ce qui lui permettait d’en revendre un plus vieux et d’arrondir un peu ses revenus. Ce dont il est le plus heureux aujourd’hui, c’est qu’un de ses fils ait repris l’exploitation. Et son petit-fils assurera la relève : il est pour l’heure à l’institut agricole d’Angers. Tous les quinze jours, il retourne passer le week-end chez lui. Ici il est un peu comme en vacances…
Est-ce d’avoir parlé de tracteurs ? Robert embraye sur les pneus. Toute une carrière chez Michelin, des gros engins agricoles (trois ouvriers pouvaient tenir côte à côte dans une chambre à air !) aux bicyclettes.

« Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
A bicyclette… »

Ils recevaient le caoutchouc en pains d’un mètre de long sur dix centimètres de côté, à chauffer et à mouler, avec des secrets de fabrication et des combines que même aujourd’hui il se refuse à révéler. Il a connu le grand-père, François Michelin, un grand homme légèrement voûté et proche de ses ouvriers. Lui, Robert, il œuvrait à La Chapelle-sur-Mesmin : travail en trois huit, la chaleur et les odeurs. Il en est resté très sensible au froid.
Nicole, elle, était couturière à domicile, à Ascoux, un peu plus bas vers Pithiviers. Elle avait obtenu son CAP vers quinze ans et s’était tout de suite mise au travail. Elle avait à l’époque une Singer à pédales. Les journées commençaient à 7 heures et ne se terminaient pas avant 22heures ! Elle faisait, entre autres, des robes de mariée en ottoman, un tissu de soie à trame de coton et  à grosses côtes ; il lui fallait une semaine de travail. Elle aurait pu chanter :

« Papa pique et maman coud
Y’a papa qui pique et y’a maman qui coud »

Et toutes les femmes tricotaient ! Elles trouvaient des modèles dans la revue « Tricotons pour eux » et plus tard, dans « Mon ouvrage » et « Modes et travaux ». Ah la la ! Ce qu’elles ont pu tricoter !… Les machines à tricoter sont arrivées bien après guerre, mais elles n’ont jamais bien pris. François explique que c’était terriblement compliqué d’effectuer tous les réglages et quand on arrivait aux diminutions, tout était à refaire…
Et si c’était à refaire, M. Baux n’écouterait pas ses parents et au dessin industriel, il préfèrerait le dessin d’art. Il aura attendu la retraite et la petite maison au bord du canal d’Orléans pour s’y adonner. Hélas ! ses yeux l’ont trahi et il a dû laisser tomber les pinceaux. Plus de pêche non plus.
Mais bon, on ne t’en veut pas. Chez toi on se sent bien. Et comme en France, tout finit par des chansons, on ne voudrait pas terminer cette lettre sans reprendre à l’unisson cette belle chanson de Nana Mouskouri qui est devenue un peu notre hymne : Pierre Delanoé et Claude Lemesle aux paroles, et Giuseppe Verdi à la musique, excuse du peu ! Un seul regret : que M. Faucheux ait délaissé la clarinette à quatre-vingt-cinq ans. Lui qui a passé tant d’années à l’Harmonie d’Ingré ! Vingt cinq ans, avec répétition hebdomadaire sous la baguette de William ALLUARD,  pour commencer et finir avec André Barruet qui ne rigolait pas, à défiler dans les rues du village et des bourgs avoisinants et jusqu’à Orléans pour la fête patronale… Il n’a même pas gardé sa casquette, juste sa bonne humeur et son rire, mais c’est l’essentiel.

Allez, prête l’oreille. Rien que pour toi :

« Quand tu chantes, je chante avec toi liberté
Dans la joie ou les larmes je t’aime
Les chansons de l’espoir ont ton nom et ta voix
Le chemin de l’histoire nous conduira vers toi
Liberté, liberté »

Des résidents du Parc des Mauves.