Lettre 331 : De Persona 1 au porche

  • Canton : Meung sur Loire
  • Commune : Épieds en Beauce

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Au porche, lettre ouverte au Pays Loire-Beauce,

1800, c’est tout ce que je sais de toi et encore depuis peu. Depuis que j’ai décidé d’écrire cette lettre ouverte, ouverte aux quatre vents, à tous ceux qui traversent ce Pays, au nord-est de la Loire et à l’ouest de la grande Beauce. Voilà des années que je passe, matin et soir, devant toi sur la D2157 (même avant, avant Raffarin, quand elle se dénommait RN 157). Mais c’est souvent le soir, sur le chemin du retour, en revenant d’Orléans, quand tu es sur ma droite que je te regarde. C’est là, qu’il y a quelques années je t’ai découvert. Il faut dire que je ne roule pas vite, car, juste à la sortie du village, il y a la big-sister de la route qui a déjà sanctionné une fois mon excès de vitesse. J’ai donc le temps d’observer le paysage. La grand-route du village aux arbustes taillés courts (si courts que je n’ai jamais pu identifier ces arbres rachitiques), une maison juste à la pancarte qui signale la fin du 50, la borne qui veille à ma sécurité jusqu’à 70 (après elle m’allume), un champ cultivé, une antenne relais sur la droite en bout de ta propriété, puis la ligne droite de la liberté limitée à 90 (faut pas trop en demander quand même !), enfin l’ombre du bois de chaque côté qui fait comme une haie d’horreur aux portes de la petite Beauce. Parce que juste après sur la gauche, Véolia vomit nos ordures à ciel ouvert (mais ça c’est une autre lettre). Donc, bien avant ce paysage, tu es là, un peu en retrait de la route, caché dans une arche de thuyas qui ont poussé depuis l’interruption de ta construction. Je n’ai jamais compris et c’est pourquoi je t’écris : pourquoi n’as-tu jamais été fini ? Pendant des jours, des beaux jours si je me souviens bien, car je n’ai commencé à m’intéresser à toi qu’après la non fin de chantier, j’ai vu un homme sur une échelle qui, tous les soirs (après le travail ?), te construisait : la charpente en bois de pin jaune, les liteaux plats clairs, puis les tuiles de pays orangées, bien rangées selon la règle de l’art. Et puis, un jour, je n’ai plus vu personne. Au début, je me suis dit qu’il n’avait plus de tuiles ou qu’il  avait dû partir en vacances, puis comme le chantier restait vide, qu’il était malade. A chaque fois, j’ai guetté la reprise et la fin des travaux, et depuis, tous les jours que je passe, je regarde. Les dernières tuiles vont tomber, les liteaux ont pris l’eau, la charpente a blanchi, les thuyas recouvrent ton bout pas fini. Alors j’ai commencé à me poser des questions. J’ai occupé mon temps de passage sur cette route, entre 50 à 70, à me demander pourquoi on ne t’avait jamais fini après t’avoir si bien commencé. Voilà pourquoi je t’écris, à toi, que je ne sais pas nommer. Tu dois bien avoir une appellation générique dans les catalogues de maison. Comme dans les westerns ou la BD de Lucky Luke à l’entrée des ranchs, tu es deux poteaux surmontés d’une toiture en tuile. Pourquoi les dernières tuiles n’ont-elles jamais été placées ?
Comme tu ne me répondras pas, je jette cette lettre dans la blogosphère des lettres du pays. Si quelqu’un la trouve et la lit je veux bien savoir pourquoi ce porche n’a jamais été fini.

Persona hétéronyme 1.