Lettre 341 : D’une poupée de chiffon aux participants des LETTRES du PAYS

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Messas

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Aux participants des LETTRES du PAYS,

J’imagine déjà votre étonnement lorsque vous lirez cette lettre mais c’est par le plus grand des hasards que j’ai pris la décision de m’adresser à vous. Il y a quelques jours, j’ai vu se glisser (sans doute une erreur du facteur) sous la porte de ma chambre de malheurs, une belle feuille de papier vert et par le mince filet de lumière qui éclaire quelques heures par jour le réduit dans lequel je suis enfermée depuis sept ans, j’ai pu découvrir le contenu de ce précieux document intitulé « LETTRES DU PAYS ».
Après une lecture attentive de la règle du jeu, j’ai aussitôt entrevu l’immense chance qui s’offrait à moi puisque rien ne s’opposait à ce que je participe moi aussi à cette frénésie d’écriture si ce n’est de trouver le moyen de vous faire parvenir mon courrier depuis ma prison de bois .
Permettez donc que je vous raconte mon histoire. Je suis née il y a sept ans par la volonté implacable d’un metteur en scène passionné et exigeant et sous les doigts agiles et caressants d’une maman (couturière) remplie d’amour et d’attention à mon égard. Très vite, j’ai pris conscience que ma jolie frimousse brune, mes lèvres pulpeuses, mes membres élancés, mon corps de femme trop vite formé et ma superbe robe rouge présentaient un atout mais aussi un danger aux regards des hommes.
Ma première année d’existence aura été parfaitement réglée. Tous les lundis soir, la porte de ma chambre mobile (un réduit de cinquante cm x quarante cm équipé de roulettes) s’ouvrait lentement et deux mains un peu tremblantes s’approchaient de mon visage, se posaient autour de mon cou, caressaient mes épaules et me tiraient tout doucement et très tendrement hors de ma cachette. Je pouvais alors étirer mes bras et mes jambes lourdement engourdis et offrir à la lumière des projecteurs la beauté de mon visage et l’éclat de ma robe. Alors mon prince charmant m’entraînait dans une danse lascive et sensuelle vers un bonheur que j’imaginais éternel. Très vite, ses gestes devenaient plus agressifs, sa respiration plus saccadée, son étreinte plus pressante et plus significative et soudainement la folie s’emparait de tout son être dans un tourbillon de mots et une avalanche de coups d’une brutalité inouïe allant jusqu’à l’écartèlement de mes membres et la dislocation de mon corps de chiffon.
Voilà, ma vie en pleine lumière se résumait à ces quelques minutes de bonheur et de tragédie mêlés. Quelques instants plus tard, une chirurgie réparatrice me permettait de retrouver l’intégralité de mon corps meurtri et je rejoignais aussitôt ma cellule jusqu’au lundi suivant, jour de la prochaine répétition.
Après une année de ce terrible régime, j’ai connu mes heures de gloire et la consécration dans une partie de ce pays Loire Beauce. De Baule à Messas en passant par Beaugency, le public m’a découverte, m’a aimée, m’a pleurée, m’a applaudie et m’a oubliée…
« Voilà, j’ai fini mon histoire. Elle a un début, un milieu, est-ce qu’on peut parler de fin ? Elle est moche mon histoire hein ? Mais c’est mon histoire ». Ces quelques mots empruntés m’ont convaincue de trouver une suite à mon histoire et je suis prête, Monsieur le Directeur culturel des Lettres du Pays, à sortir de ma boite de misères, à voyager du côté de Patay, d’Epieds ou de Huisseau, à connaître la saison des grandes fertilités pour peu que cette lettre sache vous émouvoir et que mon bourreau veuille bien à nouveau s’occuper de moi.

Une poupée de chiffons de Messas
Intermittente du spectacle et en fin de droits