Lettre 349 : D’Henriette à la casse du lavoir

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Tavers

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Chère casse du lavoir,

L’oiseau arrive, il entre telle la flèche dans le trou de l’arbre. L’arbre est mort depuis longtemps, élancé, blanc, glabre presque brillant de vieillesse. Le soleil l’éclaire à droite, c’est toujours comme ça le matin. L’oiseau, c’est peut-être un pic vert. L’arbre c’est ce qu’on voit d’abord, ensuite l’herbe du talus, le pré pentu, le ruisseau tumultueux gonflé des eaux de mars.

C’est toi qu’on découvrait en dernier, posée, presque ancrée dans les pavés, dans le coin du lavoir, indispensable et modeste.
Belle, ronde, la taille blanchie par les eaux de lessive, on vient déposer en ton sein les draps de lin, lourds de leur secret d’alcôve à effacer. Une jeune femme s’active, elle est venue avec quelques bûches, un fagot de charbonnette, le linge sale sous une bassine retournée, tout cela dans la brouette. Elle démarre prestement le feu sous ta cuve pleine de linge, « le blanc » qu’elle a recouvert d’eau transparente et fraîche pêchée avec la bassine et de quelques poignées de cristaux. Maintenant il faut attendre que ça chauffe … Le linge n’est pas le sien, elle est lavandière, tu la connais bien, elle vient souvent t’utiliser, tu es sa meilleure alliée.
C’est la première fois qu’il vient, lui, il te regarde, tout va bien, il lui sourit. Lui a-t-elle donné rendez-vous ? Ils ont l’air de se trouver à leur goût ces deux là ! Tu peux prendre ton temps pour faire bouillir la lessive, l’herbe du talus est accueillante.

L’oiseau repart en quête de nourriture pour sa nichée, le soleil a tourné, la jeune femme sort les draps de ton ventre pour les rincer dans le courant. C’est lourd, c’est chaud, ça sent bon, c’est une belle journée de printemps.

Toi, la casse, tu as rempli ton office, objet utilitaire le jour, témoin muet et encore tiède des rendez-vous étoilés, tu as été l’âme du lavoir, mais tu n’es plus. À la casse, sûrement, recyclée…

Les pics habitent toujours un arbre mort que le soleil du matin éclaire par la droite, le ruisseau est moins tumultueux, il y a des jours où je crois voir ta silhouette au fond, dans le coin noirci, comme une empreinte dans la suie.

Bien à toi.

Henriette