Lettre 367 : Du Rû de Garambault au touriste

  • Canton : Beaugency
  • Commune : Beaugency

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Cher touriste curieux, égaré loin des châteaux obligatoires…

Je suis devenu ruisseau quand de petites eaux, petites sources sans prétention, se sont unies avec l’idée d’aller retrouver, mais sans précipitation, cette grande eau venue d’ailleurs, la Loire.
Parce que nous, à ce que m’ont expliqué géologues et géographes, nous sommes la pluie infiltrée depuis longtemps, loin là-bas, dans la Beauce, et qui a trouvé des chemins souterrains pour venir en dégringolant sourdre au pied du plateau en mille points depuis  Huisseau jusqu’à Tavers.
Un ruisseau, de l’eau pure, quel cadeau ! Un jour un fermier s’était installé et, pour m’apprivoiser un peu, m’avait préparé un petit creux pour que les bêtes s’abreuvent et que les canards s’ébattent. Ensuite, je m’échappais à travers bois et une petite usine me demandait de lui rendre un service en passant ; je ne sais plus ce que j’avais à faire mais ce n’était pas salissant. Cela, c’était avant.
Des années plus tard, pour créer un nouveau quartier, il a fallu des champs ; le fermier s’en est allé ; je suis resté. A la place du bois désordonné, un parc allait naître. Pourquoi pas ? Plus de vaches mais peut-être encore des canards. Je rêvais de promeneurs pédagogues et d’enfants curieux :
« C’est quoi une source ? Où les sources ? »
« Là, regardez, entre ces pierres. Penchez-vous pour voir. Attention à ne pas glisser »
« Oui, cette eau est belle et, s’il y a des écrevisses, c’est qu’elle est pure et fraîche »…
Je rêvais.
Las ! Toute la  pluie qui allait tomber et ruisseler des toits et des chaussées de ce nouveau quartier, il avait été prévu de la canaliser et de la faire s’écouler dans ma petite vallée. Au premier orage, d’une énorme buse, des torrents sont venus me submerger. Quand il ne pleut pas trop, il arrive qu’une de mes sources soit visible encore mais qui le sait ? Qui la voit ? Tant pis pour les promeneurs et les enfants curieux ! Je suis un ruisseau noyé.
Je suis un ruisseau noyé, en apnée dans ce grand bazar d’eaux de surface tellement banales (et pas trop propres) qui ont juste suivi les flèches indicatrices de leur réseau d’égouts. Disparu.
Non. Pas disparu. Sous terre sous la Maison de la Jeunesse, je retrouve d’autres sources  encore bien cachées, et je réapparais (moins champêtre, d’un tuyau derrière une grille et non plus entre des pierres), mais toujours eau vive et pure.
Puisque vous me le demandez, je suis le rû de Garambault qui ruisselle à Beaugency, en haut de la rue des Marais, avant de rejoindre son grand frère, le rû de Vernon.