Cher disparu,
« Ne crains rien. Je ne connais ni tempête ni marée. Regarde-toi en moi. Attends le souffle de la risée pour disparaître. Attention, tes bottes glissent avec le sable grossier de ma rive. Accalmie. Un trille, deux oiseaux se pourchassent. Baisse les yeux vers moi. Regarde-toi en moi. Tu as fait le tour de mes eaux. En face tu as dû affronter les ronces, les maintenir d’une main entre deux épines charnues avant de les laisser te fouetter le dos. En surplomb. Au-dessus d’une hutte à castor brûlée. Il fut évident que tu étais trop haut pour te regarder en moi. »
Lui aussi a couru lourdement cherchant une rive plus basse. Ses pas dans ma vase. Aspiration, expiration, aspiration, expiration. Le glougloutement prolongé de mes eaux boueuses qui le retenaient et le relâchaient et les bulles remontant le long de ses jambes l’ont fait rire. Il souriait de sa grosse face de lune, ses yeux se fendaient davantage, les friselis des feuilles au-dessus lui faisaient une coiffure argentée de vieillard. Aux commissures de ses lèvres un filet blanc s’égouttait dans mes eaux. Nous mêlions nos liquides.
Son sourire était d’amant. Je le préférais aux faces des hommes silencieux qui viennent parfois tremper un fil meurtrier entre mes algues. Si grave et si gracieux échappé d’on ne sait où, il était ma lune de jour. Si on l’appelait, il s’échappait et toujours il revenait.
Un jour mes eaux ont figé.
Ma glace n’était pas miroir, mais au centre j’étais liquide encore. Mes eaux y sont plus profondes et plus querelleuses avec le vent d’est. Je susurrais : « allonge-toi sur moi. Tu vois je te retiens. Glisse sur moi. » Bras écartés sur mon givre impossible à agripper, il poussait de tout son corps. Effaré.
Il me réchauffait et j’éclatais en chuintements et grincements Je gémissais, des zébrures noires bleutées couraient. Je m’écartelais. « Allonge-toi sur moi. » Si doucement il glissait confondant ses deux visages de chair et de glace.
Encore quelques centimètres et il pourrait se regarder en moi. Une risée encore. Il s’effaça.
Si le visiteur regarde en moi, peut-être l’y verra-t-il.
L’étang de Baule