Lettre 371 : Des mânes aux générations nouvelles

  • Canton : Patay
  • Commune : Gémigny

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Supplique des ossements des frères Gruïn
en forme de lettre
aux générations nouvelles du territoire de Gémigny,

Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,

Nous, les os de Serge et Henri Gruïn,
qui reposons dans le cimetière de Gémigny depuis 1944, en appelons aux jeunes habitants de ce pays, pour qu’ils ne permettent pas que le voile de l’oubli  recouvre définitivement nos infortunées dépouilles.
Beaucoup d’entre vous, jeunes Beaucerons, ignorez notre discrète sépulture : une modeste stèle, monument qui n’a pas été érigé pour s’inscrire dans la durée.
Sans doute, auriez-vous préféré nous avoir connus, avant de consentir l’effort que nous sollicitons en faveur d’une sépulture durable.
A défaut, vous auriez au moins voulu découvrir qui nous étions, pourquoi les agents de la Gestapo ont mis tant d’obstination à nous arrêter et de férocité à nous abattre aussitôt.
Les circonstances de la guerre et le temps passé ont rendu très difficiles les recherches historiques. On sait aujourd’hui que l’antisémitisme des Nazis et du gouvernement français de Vichy ont conduit aux exactions de la rafle du Vel’d’Hiv. dont nos parents et notre jeune sœur Anna, furent victimes. Les archives conservées au mémorial de la Shoah et au CERCIL témoignent de leur internement et leur déportation. Mais rien ne subsiste concernant leur extermination à Auschwitz.
Pour nous, on connaît seulement les détails de nos arrestations et la façon dont nous avons été abattus dans les bois de Malmusse, au motif que nous avions une origine juive, par des exécutants français qui avaient notre âge mais avaient choisi de servir la cause nazie, probablement pas par idéologie mais pour l’illusion de puissance que leur donnaient une arme et le soutien de l’occupant.
Il est bien tard, 68 ans après, pour espérer retrouver des témoins de nos courtes vies.
Il faudra faire avec vos imaginations pour que nos mémoires soient entretenues,
avec la générosité pour que notre tombeau ait une chance d’être pérennisé
afin de garder, dans ce village de Beauce, le témoignage des extrémités auxquelles peut conduire le fanatisme et conserver la trace de notre famille dont il ne reste rien d’autre.

Car si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci.
(François Villon)
Nous avions 17 et 20 ans

Les mânes de Serge et Henri Gruïn.