Lettre 430 : De Françoise à la maison

  • Canton : Artenay
  • Commune : Artenay

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Ma chère maison,

Tu te trouves toujours au 13, rue de la Gare. Depuis mon enfance, ton numéro n’a pas changé. Tu te rappelles sûrement que c’est chez toi que je suis née. Mes premiers pleurs, c’est toi qui les as entendus. C’était même les vagissements car ma mère a accouché entre tes murs. La sage-femme était là pour l’assister. C’était peut-être bien Mme Merlin, à ce que j’ai entendu dire.
De toi, je n’ai rien oublié, ni la couleur des murs et des papiers peints, ni les odeurs de chacune de tes pièces. La cuisine où maman faisait les confitures dans sa grande bassine de cuivre. Ah, les confitures ! La fin des vacances et l’odeur des confitures, c’était la plus belle des saisons. Les poires et, un peu plus tard, juste avant l’école, mon délice, les mûres. Le bonheur des mûres commençait avec la longue promenade à travers champs pour les cueillir. J’y allais avec des camarades d’école, c’était des après-midi merveilleuses, pleines de rires et d’histoires. On revenait, les mains et la bouche barbouillées de mauve.
Comme tous les enfants, le bonheur suprême était de gratter la bassine après que maman avait versé le beau liquide épais dans les pots. J’aimais aussi beaucoup la séance de la paraffine : en verser ni trop ni trop peu, juste une belle couche hermétique. J’ai appris, en le faisant, que les choses n’étaient pas si simples, il y fallait « du métier », sinon la moisissure s’installait vite.
Et les compotes de pommes ! « Laisse-la refroidir, disait ma mère, sinon tu vas être malade. » Je préférais être malade…
L’autre odeur qui régnait en maître chez toi, c’était celle des chevaux. L’écurie était très grande car papa avait dix, douze chevaux. Pour les travaux des champs et, avant, pour la poste. Je revois encore les gros anneaux de fer après quoi on attachait les longes.
Pourtant, si je ne devais me souvenir que d’une seule odeur entre tes murs, ce serait celle du feu de cheminée. Quelque chose d’un peu âcre à quoi succédait le pétillement de la résine et ce doux parfum de miel dont je me remplissais les poumons. Rien que d’y penser, en fermant les yeux, ça y est… Je la sens…

Françoise