Aux visiteurs à la Détourbe,
Un trou d’eau ! En entendant cela, si j’avais pu, je me serais transformée en geyser ou en tsunami. Me réduire à un trou, à une flaque d’eau, moi, la source de la Mauve de la Détourbe, moi, la Grande Mauve, c’est un comble.
Il est vrai que la Mauve, je ne l’alimente plus souvent depuis un certain nombre d’années, car comme plusieurs autres de la Beauce, je suis un cours d’eau intermittent.
Je suis nichée dans un petit bois, entourée d’une clôture (c’est prudent) car j’ai de nombreux visiteurs. Il parait même que j’ai eu l’honneur de voir Jeanne d’Arc. Elle se serait arrêtée et baignée (?), alors qu’elle se dirigeait vers Patay venant de Meung-sur-Loire, en suivant « le chemin des bœufs* ».
Ce n’est pas invraisemblable, nombreux sont les endroits où l’on dit l’avoir vue. Pauvre jeune fille, si elle avait pu passer partout où on croit l’avoir aperçue, je suis convaincue que sa courte vie n’y aurait pas suffi.
Non loin de moi, un pince-sans-rire présente « l’arbre de Jeanne d’Arc ». Il s’agit d’un frêne d’une trentaine de centimètres de diamètre sur l’écorce duquel figure une fleur de lys. A son pied, une pierre plate, usée dit-il par les genoux des pèlerins qui venaient s’y recueillir. Les guides de l’ABP, plus réalistes, font remarquer que l’arbre doit avoir près de six siècles et qu’il n’est pas bien gros pour un pluri-centenaire. Et ils en rajoutent une couche : « vous trouverez peut-être les restes de l’opinel utilisé pour graver la fleur de lys, en regardant bien autour ».
A quelques centaines de mètres, se trouve la ferme de « Haute Bergère ». Ce nom viendrait aussi de la légende de Jeanne d’Arc : celle-ci chevauchait vers Patay ; les paysans qui la voyaient se seraient exclamés : « que vient faire cette haute bergère chez nous ? » C’est comme cela que depuis plus de six cents ans, la ferme porterait ce nom et se sont formées les légendes.
Que d’histoires ! Mais l’important, c’est de remplir mon lit d’un peu d’eau, plus ou moins selon la hauteur de la nappe phréatique. Alors là, quel bonheur pour la nature. La vie s’animait sur mes rives avec de nombreux animaux. On y voyait des oiseaux, des insectes, des libellules. Dans mon cours, il y avait des écrevisses dont beaucoup de vieux bacconnais se souviennent. De la truite frayait dans mon cours ; un pêcheur acharné vers les années 1980 essayait d’en garder dans mon lit. Il en prenait aussi quelques-unes. J’ai même hébergé des canards sur mes rives. Une année, aux Mouises, lors d’un repas de quartier, on voyait une maman canne nager toute fière avec sa nichée de canetons.
Et tous ces enfants qui s’adonnaient aux plaisirs des jeux d’eau. Des cris joyeux se faisaient entendre. J’ai rempli pas mal de bottes, mouillé un certain nombre de fonds de culottes. Près de ma source, un vieux paysan a même construit un petit moulin que l’eau faisait tourner. Cela ravissait les gosses et leurs parents.
Ainsi je cheminais en passant sous le pont de la rue de la Renardière, puis sous celui de la Rivière, pour aller recevoir l’eau qui venait de la source de la Nobière, alimentant l’étang du parc du château de la Renardière.
Je ne faisais pas que me promener, à mon passage je faisais tourner des moulins. Le premier était celui du Héron, dont il reste des ruines, puis venait celui de la Mothe (ou la Motte), de la Barreterie, et là, j’arrivais à Huisseau. Jusqu’à ce que je me jette dans la Loire à Baulette, j’ai fait travailler 37 moulins au moins et ce, jusqu’au XIXème siècle. Cette existence, je la dois aux moines de Saint Liphard qui ont asséché les marécages, en créant mon lit, pour rendre les terres exploitables. Pour ce travail, j’ai eu le renfort de la Mauve de Fontaines qui traverse le parc du château de la Touanne. Cette branche alimente le moulin de Chérelles.
Mon cours permettait des distractions. Quand mon débit était assez constant et fort, le comité des fêtes de Baccon, dans les années 1980-1990, organisait des concours de pêche en déversant des truites d’élevage dans mon cours. Moyennant une modeste participation, les enfants et les parents passaient une belle et merveilleuse journée.
Pendant plusieurs années de suite, mes rives ont été animées par « le Trial ». Une des épreuves la plus spectaculaire se déroulait autours des ruines du Héron. Les compétiteurs franchissaient plusieurs fois mon lit. Que de pieds posés dans l’eau pour les moins habiles, tandis que les plus forts y arrivaient sans faire de fautes.
Le soir, ces infatigables animateurs terminaient la fête en organisant un repas sous un grand barnum en plein champ. La soirée continuait par un bal sur un parquet monté spécialement. Par temps sec, traverser les espaces herbeux ne posait pas de problèmes ; mais je me souviens d’une année pluvieuse où la piste de danse était cirée à la boue et ressemblait à une planche à savon. Qu’à cela ne tienne, les amateurs se trémoussaient, souvent pieds nus, parfois en bottes, au son de la musique que l’on entendait de fort loin. Un certain nombre se sont trouvés sur les fesses, les rires explosaient alors ! Ils rentraient à la maison fort tard dans la nuit d’été, maculés de boue mais contents de leur journée. En les voyant rentrer ainsi, un non informé n’aurait pu imaginer qu’ils revenaient d’un bal.
Ces distractions simples créaient des liens et relations amicales entre les nouveaux arrivants des lotissements et les anciens du village. Peut-être reverra-t-on cela un jour, quand le ciel voudra bien relever le niveau de la nappe de Beauce afin que je puisse, à nouveau, cheminer à travers les bois et les champs et animer la nature à mon passage ?
La grande Mauve