Au chemin,
Depuis que l’on t’a recouvert d’une couche noire et lisse, tu n’es plus un chemin, tu es une route.
Sur toi passaient les piétons et les cyclistes qui allaient à leur travail. Les écoliers à pied, avec leur cartable et le petit panier qui contenait les tartines pour le repas du midi qu’ils prenaient à l’école. Le facteur, à vélo, qui portait dans les villages les nouvelles aux abonnés du journal. Le garde champêtre avec son tambour qui allait informer les administrés des heures et des jours d’ouverture de la mairie en vue de déclarations ou retirer les cartes de rationnement. Le curé, à vélo, qui rendait visite une fois l’an à ses paroissiens. Les conscrits de retour du conseil de révision, tous fiers d’arborer la cocarde tricolore et le gadget « Bon pour le service ». Les enfants de chœur qui quêtaient les œufs ou quelques pièces aux vacances de Pâques. Le boulanger à voiture à cheval qui portait les pains de quatre livres deux fois par semaine dans les villages. Les commerçants du bourg lui emboîtaient le pas. Les « trimards » pas méchants, en quête d’un quignon de pain ou d’un gîte pour la nuit. Les carrioles attelées d’âne ou de poney qui amenaient les écoliers des villages les plus éloignés. Les charrettes qui rentraient les foins et les gerbes de moisson. Les tombereaux qui rentraient les betteraves pour l’alimentation des animaux, l’hiver. Les cantonniers qui colmataient avec des pierres cassées les ornières laissées par le passage des voitures.
Puis ultime voyage, le cheval aux sabots cirés de noir et aux harnais également noircis, tiraient la charrette qui transportait la dépouille du malade qui à cette époque décédait chez lui.
Tout cela est enfoui sous le goudron !
« S’il vous plaît, le chemin pour aller à Villejouan ?! »
Gilberte