De Gilberte au bleu

Bleu.

Tout bleu comme le ciel strié par le passage des avions qui décollent ou atterrissent.
Bleu comme les toitures d’ardoise de mes bâtiments.
Bleu le myosotis.
Le bleuet des blés
Bleues les pervenches des bois
Les lavandes du midi
Bleu comme le bleu horizon des poilus de 14/18
Bleu les casques de l’ONU.
Bleue l’équipe sportive « les Bleus »
Bleu, celui que je me suis fait en me cognant.
Bleu comme mes yeux qui vont perdre leur vision jusqu’à la cécité.
J’en ai une peur bleue. Je n’y verrai plus que du bleu.
Allons – reposons-nous.
Ecoutons le bruit du silence
et faisons de beaux rêves bleus.

Gilberte

De Gilberte au fromage mou

Au fromage mou de la rentière,

Elle est assise au coin de sa table de cuisine face à la photo de son mari défunt mise au mur. Avec sa maigre retraite agricole, elle ne peut pas se contenter de choses plus chères. Elle va manger sa « fromagée », fromage blanc de la faisselle délayé avec un peu de lait.
D’ici quelques temps nous allons manger des choses extraordinaires : des larves, des grillons, des asticots réduits en farine mélangée dans des aliments de cuisines toutes faites. Cela va nous aider à devenir centenaires. Y aura-t-il assez de maisons de retraite, de médecins, de soignants et de mouroirs !
Certains mangent des yaourts, nature ou aromatisés, mais y a-t-il une goutte de lait dans ces petits pots ?
Peut-être auront-ils avoir envie de manger « la fromagée » comme la mange la rentière au fromage mou …

Gilberte

De Gilberte au vent

C’est toi ?

On ne t’a pas vu arriver sans bruit – en courant – Tu nous décoiffes – Quand tu es en colère, tu fais des dégâts sur les toitures et dans les champs, tu courbes les arbres- Tu nous transperces quand tu es froid – Tu nous rafraichis quand il fait chaud – Quand tu es doux, c’est le zéphyr ou la brise mais quand tu es violent c’est l’ouragan, la tempête dévastatrice.
Mais oui, c’est toi – le vent !

Gilberte

De Gilberte au soir d’été

Soir d’été,

Cette année, le soleil n’est pas généreux. Le temps est toujours incertain. Nous ne nous plaignons pas de la grosse chaleur et le soir, après le coucher du soleil il fait bon « prendre le frais » dans un fauteuil.
Tout est calme ! Pas de bruit. Seuls les oiseaux tracent dans le ciel. Les piafs s’en donnent à cœur joie et les hirondelles, parents et petits envolés depuis peu, forment un ballet piailleur. Et, tout d’un coup, plus rien. Toute cette gent emplumée est rentrée et s’apprête à passer la nuit la tête sous l’aile. Bientôt ce seront les chauves-souris de prendre leurs ébats. Puis la nuit tombée, les chouettes ou hiboux prendront le relai, butant dans les volets ou les vitres des vérandas.
Vous entendrez aussi les cris des chats affamés, perdus par des vacanciers, qui se disputent une nichée de faisandeaux fraichement éclose. Puis les chiens des voisins dans les chenils.
Au lointain, le ronronnement d’un orage, le bruit de l’avion postal à ligne régulière. Les étoiles s’allument une à une et la lune a l’air de nous sourire.
Demain ce sera un autre jour !
La nature si belle s’endort – Ne la maltraitons pas !

Gilberte

De Gilberte à la chemise de nuit

La chemise de nuit de Mamie,

En rangeant dans mon armoire, j’ai trouvé une chemise de nuit que ma fille mettait quand elle avait une dizaine d’années. Je la gardais car quand les enfants sortaient le soir, les petits venaient dormir chez moi et mettaient la chemise quand ils avaient oublié le pyjama.
J’ai dit à ma fille : je te la donne pour ta fille… Oh non ce n’est plus à la mode, ce n’est pas du beau tissu – N’en parlons plus.
Je l’ai montrée à mon arrière petite-fille qui m’a dit : elle me plait, je vais la porter quand je viendrai dormir chez Mamie.
Aussitôt j’ai fait quelques broderies pour l’agrémenter et maintenant elle sert.
La chemise a plus de 60 ans !

Gilberte

De Gilberte à l’amitié

L’amitié.

Une fleur – un parfum, un sourire, un mot –
Quoi de plus pour former une amitié –
L’amitié, c’est franc, sincère – de la compréhension et de la force et de l’aide.
Méfions-nous de l’amitié hypocrite qui cherche le profit, l’avancement qui n’engendre que mépris et mensonge.
Les vrais amis se comptent.
C’est une qualité innée.

Gilberte

De Gilberte à la valse

La valse,

Lorsque j’étais jeune fille, avec les camarades de mon âge, nous allions, à bicyclette, danser dans les bals de communes environnantes. Tout le monde se connaissait. J’aimais danser mais je ne dansais pas la valse.
Dans toute l’assistance, un jeune homme me plaisait… mais comment l’aborder !! Le bal est commencé – la musique commence à jouer – le jeune homme vient m’inviter… c’était une valse ?!… le déclic fut immédiat… je me suis jetée à l’eau.
J’ai dansé… nous avons dansé plusieurs fois après et un jour, il m’a dit : veux-tu être ma femme ?
Ah la valse… tu fus le départ de 64 années de bonheur, mais je ne sais toujours pas danser la valse.

Gilberte

Au chemin (par Gilberte)

Au chemin,

Depuis que l’on t’a recouvert d’une couche noire et lisse, tu n’es plus un chemin, tu es une route.
Sur toi passaient les piétons et les cyclistes qui allaient à leur travail. Les écoliers à pied, avec leur cartable et le petit panier qui contenait les tartines pour le repas du midi qu’ils prenaient à l’école. Le facteur, à vélo, qui portait dans les villages les nouvelles aux abonnés du journal. Le garde champêtre avec son tambour qui allait informer les administrés des heures et des jours d’ouverture de la mairie en vue de déclarations ou retirer les cartes de rationnement. Le curé, à vélo, qui rendait visite une fois l’an à ses paroissiens. Les conscrits de retour du conseil de révision, tous fiers d’arborer la cocarde tricolore et le gadget « Bon pour le service ». Les enfants de chœur qui quêtaient les œufs ou quelques pièces aux vacances de Pâques. Le boulanger à voiture à cheval qui portait les pains de quatre livres deux fois par semaine dans les villages. Les commerçants du bourg lui emboîtaient le pas. Les « trimards » pas méchants, en quête d’un quignon de pain ou d’un gîte pour la nuit. Les carrioles attelées d’âne ou de poney qui amenaient les écoliers des villages les plus éloignés. Les charrettes qui rentraient les foins et les gerbes de moisson. Les tombereaux qui rentraient les betteraves pour l’alimentation des animaux, l’hiver. Les cantonniers qui colmataient avec des pierres cassées les ornières laissées par le passage des voitures.
Puis ultime voyage, le cheval aux sabots cirés de noir et aux harnais également noircis, tiraient la charrette qui transportait la dépouille du malade qui à cette époque décédait chez lui.
Tout cela est enfoui sous le goudron !
« S’il vous plaît, le chemin pour aller à Villejouan ?! »

Gilberte

Lettre à mon Jardin (par Michelle)

Mon cher jardin,

Tu étais situé au pied du château d’eau de Cravant, d’une superficie de 1300m2 environ et en forme de L avec deux points d’eau !
Tu étais aménagé ainsi : à un bout, un fructueux verger planté d’arbres dits «de plein vent» (Montmorency, Early plus précoce, des pruniers Reine Claude et Mirabelles, un abricotier, deux pêchers, un cognacier, un pommier), en face des fruitiers en espalier qu’il fallait tailler au sécateur deux fois par an pour avoir des fruits (à couteau) (poires William et reinettes grises, délicieuses !), à côté, des groseilliers, des cassissiers, des framboisiers étaient installés en jonction avec le potager.
Ah ! le potager !
Je revois encore ces rangées de petits pois en fleur, de haricots verts et blancs (beurre), les carottes, les navets rutabagas et les blancs, betteraves rouges, céleris, radis, salades, oignons, échalotes, ail, les pieds de tomates fixés par des piquets et des fils de fer, des choux pommes, fleurs, Bruxelles.
Dans un petit coin, on y trouvait des herbes aromatiques : thym, laurier, persil, ciboulette, je crois que rien n’y manquait !
Les pommes de terre occupaient une plus grande partie. C’était un vrai bonheur que de venir les arracher avec la charrue et le tracteur au début de septembre. On remplissait les sacs en toile de jute pour les stocker dans le cellier (à l’abri du gel) pour l’hiver.
Maman avait aussi installé une serre afin de faire ses semis précoces.
Au moment de la récolte, elle s’affairait, elle n’avait pas les deux pieds dans le même sabot, Maman !!
Les fruits d’abord, il ne fallait qu’ils s’abiment !
Elle en a rempli des bocaux de fruits au sirop, mijoté des confitures, des gelées, des marmelades, des tartes, des clafoutis, les cassis servaient à faire de la liqueur ou du sirop ! Comme elle aimait faire tout ça !!!
Les légumes également étaient mis en bocaux ou bien congelés, tels les haricots verts. Oh ! la cave était bien garnie, les étagères en croulaient, on aurait pu y tenir un siège en temps de guerre ! Avec les quelques bouteilles et verrines de pâté.
Maman était courageuse et téméraire, elle s’était même essayée à cultiver des griffes d’asperges et des melons. Certaines fois, elle était très fière d’avoir réussi, mais le beau temps n’était pas toujours là, ça ne réussissait pas à tous les coups.
En période hivernale, tu étais labouré, il fallait laisser la terre se reposer ! Je revois encore ces sillons brillants !
Ah jardin ! Que de bons souvenirs ! Si maman n’était pas à la maison, on savait où la trouver ! A la fin de sa vie, maman avait le dos cassé, pas étonnant ! C’était une terrienne jusque dans l’âme ! Et on peut dire que ça lui a collé au corps et au cœur toute sa vie !!
Maintenant les temps changent, tes arbres après soixante ans de production intense sont épuisés, on a dû les abattre et ton verger a laissé place à une construction, ainsi que ton potager !
Ainsi va la vie, restent les souvenirs !

Michelle